François-Olivier Chené, Laïcité et nation québécoise : de la Révolution tranquille à aujourd’hui, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2024, 104 p.

La quatrième de couverture de l’ouvrage dresse de François-Olivier Chené un portrait original qui met en valeur l’éthique de conviction de l’auteur et ses qualités de pédagogue, propres à « sensibiliser les gens au monde politique ». L’enseignant en sciences politiques au cégep a ainsi « mis en branle le mouvement des casseroles de 2012 et a tenu pendant plusieurs années une chronique dans le journal Mobiles », à Saint-Hyacinthe. L’engagement du militant et l’initiative du chercheur concourent à la production d’un ouvrage dont la brièveté est à la mesure de la densité du propos et qui se recommande par la clarté de la démarche, la force de l’argumentation et l’élégance de l’écriture. Le titre énonce bien la visée centrale : « décrire l’évolution des visions de la laïcité qui ont été mises de l’avant par l’État québécois à différents moments de son histoire récente » pour mieux « comprendre quel est l’effet de la laïcité et de la définition qu’on en fait sur la manière de percevoir la nation québécoise » (p. 5). L’auteur procède par voie d’historicisation, si l’on entend cette voie analytique et interprétative en termes de comparaison historique en vue de prendre la mesure des processus de transformation socio-politique et d’interroger les temporalités propres des faits sociaux ou des configurations historiques qui rendent pensables et possibles de nouvelles idées et de nouvelles pratiques. Distincte de la sécularisation, comprise comme perte progressive de la pertinence sociale du religieux, la laïcité traduit un aménagement du politique par lequel l’État joue intentionnellement la carte de la neutralité à l’égard des religions, condition de liberté de conscience et d’égalité morale des individus. Plus que par leur simple concomitance, ces deux processus ont été marqués par leur hybridation mutuelle à compter de la Révolution tranquille. La redéfinition de la nation, passée de « canadienne-française » à « québécoise », est en effet allée de pair avec la révision de la place de la religion, longtemps vecteur identitaire de la communauté nationale. Chené estime que les travaux sur le Québec contemporain ne mettent pas suffisamment en exergue cette dimension structurante. Il tire des travaux de Micheline Milot et de Jean Baubérot une typologie personnelle qui distingue trois types de modèles : républicain civique, communautarien et de tolérance. Après une construction méthodique de la notion de laïcité, l’ouvrage étudie l’évolution contemporaine des visions de la laïcité et de la nation québécoise en prenant appui sur quatre rapports principalement consacrés à la question de la religion : les rapports Parent (Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, 1965-1966), Dumont (Commission d’étude sur les laïcs et l’Église, 1971), Proulx (Groupe de travail sur la place de la religion à l’école, 1999) et Bouchard-Taylor (Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles, 2008). Trois séquences historiques sont définies, dont l’analyse représente l’essentiel du corps de l’ouvrage : « Une laïcité en formation (années 1960 et 1970) », « Une laïcité pluraliste (années 1990 et 2000) », « La laïcité comme valeur nationale (années 2010) – on notera la césure des années 1980, au cours desquelles le débat sur la laïcité a fait place à la question nationale. Au cours de la troisième et dernière période, quatre projets de loi ont été déposés, qui ont pris, pourrait-on dire, le relais actif des documents antérieurs afin d’en mettre en acte certaines orientations. Ils font l’objet d’une analyse approfondie, que viennent étayer et valider des extraits d’entrevues conduites auprès de trois grands témoins directement impliqués dans la préparation ou la rédaction de ces textes. C’est le cas en particulier du projet de loi …