Comptes rendus

Patrick Lacroix, « Tout nous serait possible ». Une histoire politique des Franco- Américains, 1874-1945, Québec, Presses de l’Université Laval, 2021, 253 p.[Record]

  • Pierre Lavoie

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Avec ce livre, Patrick Lacroix bonifie substantiellement l’historiographie consacrée à la politique électorale chez les Franco-Américain·e·s du Nord-Est des États-Unis. Bien conscient que son ouvrage ne constitue pas une revue exhaustive et définitive de la vie politique franco-américaine, l’auteur est malgré tout arrivé à produire l’étude du phénomène la plus approfondie à ce jour. Nous saluons notamment l’insistance avec laquelle il replace les différences de classe sociale au coeur de l’analyse du fait politique franco-américain et son choix d’étendre la périodisation de son enquête au-delà – avant et après – des trois premières décennies du 20e siècle. Dans le premier chapitre, l’historien se concentre sur la période allant de 1874 à 1908. Il montre bien qu’en dépit des préjugés tenaces selon lesquels les Canadiens français (le masculin reflète ici les limitations civiques du moment) auraient fait preuve de plus de conservatisme que leurs contemporains et auraient été désintéressés de la vie politique états-unienne, ce que le faible taux de naturalisation du groupe suggère, ceux-ci s’impliquent à l’échelle locale peu de temps après leur établissement au sud de la frontière et aspirent rapidement à une meilleure représentation à l’échelle régionale et nationale. Dans le second chapitre, consacré à la reconnaissance ethnique des Franco-Américain·e·s et à leurs succès électoraux entre 1890 et 1915, Lacroix réfute l’argument selon lequel l’ambivalence partisane du vote franco-américain aurait nui au poids politique du groupe. Au contraire, elle leur aurait permis d’exercer le swing vote à plusieurs reprises dans les États du Nord-Est, ce qui leur a valu l’attention autant des démocrates que des républicains. La reconnaissance évoquée par l’auteur se manifeste entre autres par la nomination de Franco-Américains par les deux partis et par leur élection à des postes prestigieux comme ceux de maires, de gouverneur et de sénateur. Le cas bien connu d’Aram Pothier devient, sous la plume de Lacroix, l’arbre qui cache la forêt – et les pousses d’une forêt en devenir. Le troisième chapitre de l’ouvrage détaille le rôle joué par les politiciens et par les électeur·rice·s franco-américain·e·s dans la formation d’une coalition nationale entre groupes marginalisés (minorités régionales, religieuses, ethnicisées et racialisées) et classe ouvrière qui a permis au parti démocrate de s’établir comme une force de changement durable aux États-Unis au cours de l’entre-deux-guerres. Soulignons ici le caractère nuancé des interprétations de Lacroix : en relevant la capacité des politiciens franco-américains à la fois à représenter les populations de centres industriels multiethniques et à s’impliquer dans leur propre communauté, l’historien éclaire un volet de l’expérience ethnoculturelle franco-américaine insuffisamment exploré par l’historiographie. De ce fait, il précise notre compréhension des pratiques liées à l’idéal de la survivance chez les Franco-Américain·e·s, un idéal qui n’exclut pas la participation à la vie politique états-unienne. Nous émettons des réserves mineures à propos de l’usage fait par l’auteur de la notion de culture. Les mentions en début d’ouvrage d’une culture canadienne-française « transplantée » en sol états-unien (p. XI) et d’une « rencontre » entre l’univers culturel canadien-français et la culture des États-Unis (p. 4) sous-entendent la préexistence de cultures homogènes et fixes. La recherche en études culturelles tend plutôt depuis les années 1960 à rejeter cette définition de la culture, au profit d’autres qui soulignent son caractère processuel et dynamique – la culture n’est jamais, elle (se) fait toujours ; elle ne serait pas le point de départ ou d’arrivée, mais bien le chemin entre les deux. Où commencent et où s’arrêtent ces cultures ? Qui en établit les limites et comment ? Une définition un peu plus aboutie et circonscrite de l’usage de la notion de culture dans le contexte précis de cette …