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Comment je suis devenu sociologue… du Québec[Record]

  • Joseph Yvon Thériault

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J’avais 18 ans en 1968. J’étais étudiant dans un petit collège du nord du Nouveau-Brunswick. Nous étions environ 450 étudiants, y compris la nouvelle cohorte de filles récemment admises dans cette institution encore dirigée par les eudistes. Tout semblait nous éloigner du tumulte des mouvements étudiants des campus américains et de mai 68 en France. Ce n’est qu’après coup, avec les outils de la sociologie, que je compris combien ce tumulte nous avait marqués. Nous regardions aussi avec jalousie l’éveil du nationalisme québécois (le Parti québécois fut créé en octobre 1968), sachant que notre état minoritaire empêchait à tout jamais, en Acadie, la souveraineté politique. Et pourtant, c’est l’effervescence des années soixante qui m’a conduit à la sociologie. Ma formation universitaire premièrement. Je suis né d’une famille ouvrière et rurale de neuf enfants, mes parents n’avaient qu’une éducation primaire. Pas de livres et pas de traditions intellectuelles à la maison, si ce n’est une grande curiosité. La fratrie des neuf, néanmoins, cheminera vers l’université. Nous étions les enfants de l’après-guerre, profitant de la mobilité structurelle due principalement à la croissance de l’État-providence et à son besoin de nouveaux diplômés. Le choix de la discipline en deuxième lieu. Nous étions nombreux, nous les baby-boomers, à arriver à l’âge adulte au milieu des années soixante et à croire que nous pourrions changer le monde. Les sciences sociales étaient à la fois la voie d’entrée dans ce nouveau monde et la clef de sa compréhension, elles avaient le vent en poupe. Les enjeux politiques de l’Acadie des années soixante définiront mes premiers intérêts intellectuels. Le Nouveau-Brunswick connaissait sa révolution tranquille menée largement par des Acadiens (le gouvernement Robichaud). À la suite de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Commission BB), le bilinguisme deviendra politique officielle au Nouveau-Brunswick et au Canada en 1969; le Québec cheminait vers l’adoption du français comme seule langue officielle (Loi 101, 1976). Le sous-développement régional, voire celui de l’entièreté de l’Acadie, était au centre des préoccupations de la cohorte de jeunes professeurs qui nous enseignait. Michel Roy, l’auteur de l’Acadie perdue (1978) fut le plus marquant; Pierre Poulin m’initia à la sociologie, le développement régional était sa grande préoccupation; le chansonnier Calixte Duguay, l’auteur des chansons Les aboiteaux et Louis Mailloux, la littérature française d’Acadie et d’ailleurs; enfin, les frères Lauzon, Jean Guy et Normand, venus du Québec, nous enseignaient les sciences politiques et l’économie, en ces moments de grande effervescence au Québec. Plusieurs d’entre eux se trouveront quelques années plus tard dans la fondation du Parti Acadien. C’est d’ailleurs la question du développement qui intéressa l’apprenti chercheur que j’étais lors de mes études de maîtrise et de doctorat. J’aurais voulu faire ma thèse sur l’Amérique latine. Des contraintes familiales m’obligèrent à trouver un terrain plus familier. À la suggestion de mon directeur de thèse, Henri Desroche, ce fut l’Acadie, plus spécifiquement son expérience coopérative, étudiée à l’aune des théories de la dépendance (Thériault, 1981). Cela allait profondément marquer mon parcours. Je fus embauché à l’Université d’Ottawa comme professeur de sociologie du développement, mais mon terrain acadien y était pour beaucoup. On cherchait à y développer les études sur les francophonies canadiennes minoritaires. Comme seul « francophone hors Québec », je fus rapidement interpellé tant par le milieu universitaire que par le milieu associatif pour produire des travaux sur ces francophonies (Thériault, 1995; 2007). Parallèlement à mes intérêts pour le développement et les francophonies minoritaires, j’avais conservé de mes études de science politique (j’avais fait ma maîtrise en science politique) un grand intérêt pour la sociologie politique. Pas celle …

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