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Parcours typique ou atypique d’une sociologue de la jeunesse?[Record]

  • Madeleine Gauthier

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Ce texte illustre le parcours plein de rebondissements d’une petite fille née en 1940 en milieu rural, aînée de cinq enfants, bercée par sa grand-mère. Au-delà de toute l’affection que j’ai reçue, j’ai gardé de ma petite enfance le souvenir d’un monde tourmenté qui me causait bien des cauchemars. Les adultes et la radio parlaient de la guerre en Europe mais il est arrivé qu’un soldat frappe à la porte de notre maison la nuit cherchant ce que papa appelait un déserteur. Il y avait aussi un régiment militaire qui passait régulièrement sous nos yeux… Ma vie d’adolescente et de jeune femme a suivi des chemins qui illustrent un autre phénomène de l’époque : les limites des choix de carrière qui s’offraient aux jeunes femmes. Le choix de la sociologie, intérêt développé plus tard, ne m’est apparu réalisable que dans la trentaine… et avec l’accompagnement et le soutien d’un conjoint lui-même sociologue. J’ai vécu toute mon enfance avec une grand-mère analphabète qui a eu beaucoup d’influence sur ma vie « intellectuelle ». Elle ne cessait de me dire : « J’ai hâte que tu saves lire pour pouvoir lire la gazette à mémère » (Eugénie Guay-Gauthier, 1872-1953). Cet objectif m’a énormément fait aimer la lecture, mais aussi l’école, cette école du village qui ne comptait que deux classes, de la première à la neuvième année. La coopération y était de mise : les meilleurs aidaient ceux qui l’étaient moins. Sans nul doute ai-je appris là la nécessité de la coopération dans la vie en société et développé un certain leadership. Mes premières enseignantes ont été des religieuses. Elles ont eu une influence importante sur mon parcours scolaire. En neuvième année, je me souviens avoir dit à Soeur Ernest qu’il faudrait peut-être que j’abandonne les études pour permettre à mon frère, de trois ans mon cadet, de commencer le cours classique. Elle m’a immédiatement rabrouée : « Pourquoi, parce qu’il est un garçon, devrait-il avoir plus de chances que vous, Madeleine? » J’ai alors poursuivi mes études jusqu’à l’obtention du baccalauréat en pédagogie! Ces années ne furent pas de tout repos pour mes parents agriculteurs : nous étions trois en même temps aux études supérieures et deux autres enfants suivaient. Titulaire d’une sixième année « forte », disait mon père, il était allé à une autre école, celle de la Jeunesse Agricole Catholique (JAC), ce mouvement de jeunesse qui l’avait ouvert aux questions sociales auxquelles il nous a toujours intéressés. J’étais encore bien loin de la sociologie, bien qu’il me soit arrivé d’en entendre parler à la radio alors que j’étais adolescente. Un certain Guy Rocher, interviewé à Radio-Canada, m’avait impressionnée. Mais loin de moi l’idée que je pourrais un jour pratiquer ce métier. Dans les années 1950, trois carrières s’offraient principalement aux filles qui « voulaient » poursuivre des études : secrétaire, infirmière ou enseignante. L’École normale fut mon choix… mais je n’ai jamais enseigné. D’autres types d’emploi m’ont fait vivre des expériences pour le moins singulières telle la permanence du bureau diocésain de la Jeunesse Étudiante Catholique (JÉC) à Sherbrooke et, par la suite, au palier national à Montréal. Militantisme chrétien? Des études sociologiques subséquentes ont confirmé que la JEC et sa méthode du « Voir, juger, agir » avaient plutôt offert une voie de passage sans trop de tension vers une société laïque (Bélanger, 1977). La démarche empirique de cette méthode avait déjà produit des fruits qui m’ont été utiles par la suite. C’est vers la fin de cette période qu’au hasard d’une rencontre d’étudiants à Saskatoon, lors du voyage de retour, j’ai connu l’homme de …

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