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L’État, la société, les macropouvoirs[Record]

  • Gilles Bourque

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En 1969, la décision de créer un réseau public francophone qui devint l’Université du Québec répond à l’urgence de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur. Après la création des polyvalentes et des cégeps, la formation de l’Université du Québec marqua l’aboutissement, dans le domaine de l’éducation, d’un processus beaucoup plus large d’implantation des institutions caractéristiques de l’État-providence. On connaît l’essentiel de l’histoire de la reconstruction instituée sous l’égide de l’État-providence durant les années 60 et 70. Je n’insisterai que sur le discours politique dominant la période. Le providentialisme québécois s’imposa à partir d’une critique radicale du duplessisme (Bourque, 2018). Il proposa un idéal d’émancipation sociale et nationale dans la foulée d’une ouverture à la politisation des rapports de pouvoir. La prépondérance de la sphère publique rendit dès lors possible le dévoilement potentiellement extensif des rapports d’inégalité et de domination. L’Université du Québec à Montréal (UQAM), où j'enseignai durant toute ma carrière, fut créée dans l’urgence et dans un contexte élargi de contestation : mai 68 en France, octobre 68 dans les cégeps, décolonisation, opposition à la guerre du Vietnam et lutte pour les droits civiques aux États-Unis. On nous confia la tâche d’ouvrir un département et de participer à la création d’une Université, alors que nous étions en majorité de très jeunes intellectuels, dotés le plus souvent d’une seule maîtrise. Nous reçûmes en quelque sorte un cadeau à moitié empoisonné. L’aventure fut passionnante, mais en même temps stressante et turbulente. Durant les années 60, j’obtins une licence en Lettres options français et histoire et une maîtrise en Sociologie de l’Université de Montréal. Pendant ma formation universitaire, je fus membre des comités de rédaction du Quartier latin et de la revue Parti pris. Je militai en même temps au Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), avant de participer à la formation du Comité indépendance-socialisme qui fit long feu. Bref, mes études universitaires ont été liées à une forme ou à une autre d’action militante qu’on appela par la suite à l’UQAM les services à la collectivité. Comme plusieurs de mes collègues, je poursuivis cette pratique durant ma carrière : participation à des revues comme Socialisme québécois et Les Cahiers du socialisme, militance syndicale au Syndicat des professeurs et professeures de l’Université du Québec à Montréal (SPUQ), intervention régulière sous plusieurs formes auprès de la Centrale de l’enseignement du Québec/Centrale des syndicats du Québec (CEQ-CSQ) et de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), engagement au Mouvement socialiste dirigé par Marcel Pepin, participation au Centre de formation populaire. Durant mes études, je fus surtout marqué par les enseignements de Maurice Séguin, Marcel Rioux et Guy Rocher. Maurice Séguin avait rompu avec Lionel Groulx. Il développa une théorie de la domination nationale débarrassée de toute référence clériconationaliste. Marcel Rioux contribua à notre connaissance du marxisme et voulut toujours relier le métier de sociologue à la pratique sociale. Guy Rocher, enfin, demeurera toujours pour moi l’exemple d’un intellectuel engagé et d’un communicateur de haut vol. Mon premier article, rédigé avec Luc Racine, et mon mémoire de maîtrise portèrent sur le débat entre les historiens Maurice Séguin et Fernand Ouellet (Bourque et Racine, 1967). Ce mémoire fut publié en 1970 aux Éditions Parti pris sous le titre Classes sociales et question nationale 1760-1840 (Bourque, 1970). L’ouvrage proposait une synthèse entre les positions radicalement opposées des deux historiens. Pour faire très court, Maurice Séguin considérait la Conquête comme le point de départ d’un processus d’oppression nationale. Il faut noter que la nation canadienne-française est ici pensée comme un bloc homogène. Fernand Ouellet qui analysa la même période lui opposa …

Appendices