Comptes rendus

Myriam St-Gelais, Une histoire de la littérature innue, Montréal, Imaginaire|Nord et Uashat, Institut Tshakapesh, 2022, 180 p.[Record]

  • Theam Eang-Nay

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En 2022 est publié dans la collection « Isberg » l’ouvrage phare de Myriam St-Gelais, Une histoire de la littérature innue. C’est la première oeuvre qui propose une synthèse de la littérature innue depuis les premiers écrits sous la forme de lettres adressées aux instances au pouvoir en Europe. Cet essai est reconnu par les pairs et atteste d’un travail rigoureux de recherche, travail d’abord entamé dans le cadre d’un mémoire de maîtrise. La publication de cet essai s’inscrit dans une collaboration entre l’Institut Tshakapesh à Uashat et Imaginaire|Nord à Montréal. En ce sens, un premier lancement a eu lieu pour les membres de la nation innue lors du Colloque Tshakapesh en mai 2022 afin d’en permettre d’abord l’accès aux communautés. En 2022, de passage au micro de Boréale 138, Naomi Fontaine mentionne l’essai de St-Gelais comme un incontournable aux côtés des oeuvres d’An Antane Kapesh et de Thomas King. De plus, une préface en innu-aimun et en français, écrite par Yvette Mollen, linguiste, professeure d’innu et récipiendaire du prix Gérard-Morisset pour son travail de sauvegarde et de valorisation de la langue innue, souligne les qualités de l’ouvrage de St-Gelais, celle-ci ayant été étudiante dans un cours de la professeure Mollen. Les trois chapitres de l’essai donnent à découvrir trois moments marquants de la littérature innue : d’abord son émergence à partir de la littérature orale jusqu’à 1970, puis l’avènement de la publication dans l’espace public (1970 à aujourd’hui), pour conclure sur l’institutionnalisation de la littérature innue. Le premier chapitre a pour objectif de faire valoir la présence d’une voix innue, bien avant l’arrivée des missionnaires sur les territoires de l’Île de la tortue, et ce, déjà au 17e siècle. L’autrice rappelle la place de la littérature orale et des signes visuels dans la culture innue et, par le fait même, dans la conception de sa littérature. À la vision innue de la littérature s’oppose celle occidentale qui dévalorise l’apport de l’oralité. Les pensionnats autochtones et autres pratiques coloniales entraînent des conséquences dévastatrices pour la culture, la langue et l’identité des membres de la nation innue. Ces violences ont aussi eu comme effet de déprécier la culture des Premiers Peuples. Le deuxième chapitre aborde la place occupée dans l’espace public dès 1970 par les textes innus. Écrire porte une motivation différente : « Si les Innus écrivent en innu-aimun depuis des siècles et qu’ils ont su parler en leur nom propre, ils utilisent maintenant l’écriture aux fins de dénonciation, mais également de valorisation et d’affirmation culturelles » (p. 33). Dans cette deuxième partie, St-Gelais analyse trois textes marquants de la littérature innue : Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite sauvagesse d’An Antane Kapesh, Bâtons à message. Tshissinuatshitakana de Joséphine Bacon et Kuessipan de Naomi Fontaine. C’est le tournant pour la littérature innue dorénavant inscrite dans un milieu littéraire qui serait « légitime » avec ses propres mécanismes de reconnaissance. Le troisième chapitre pose un regard sur la manière dont la littérature s’est taillée une place dans les institutions. L’autrice s’intéresse à l’enseignement de la littérature et aux enjeux liés aux littératures des Premiers Peuples dans un milieu dont le regard demeure teinté d’un héritage colonial. St-Gelais décortique aussi le milieu de l’édition, notamment en étudiant les différentes revues et maisons d’édition qui font le choix de publier des textes écrits par des membres de la nation innue. Dans une perspective de remise en question de la vision eurocentrique des savoirs, il est primordial de décentrer notre regard et de tenir compte de la conception innue du monde. Apposer les étiquettes occidentales ne fonctionne pas …