Publié en 2001 sous la forme d’un livre de luxe édité par Henri Rivard, puis l’année suivante dans une enveloppe beaucoup plus sobre chez Septentrion, l’ouvrage suit mal les avancées de la recherche. Nulle place pour les apports de l’anthropologie historique, de l’ethnohistoire et de la nouvelle histoire politique, pourtant éminents à l’époque où paraît initialement le travail. Nulle place non plus pour l’histoire inclusive, germant alors sous l’égide de l’histoire sociale. Pratiquant sa science sur un mode traditionnel, l’auteur n’avance aucune thèse forte, ne discute pas ses choix épistémologiques et s’épargne tout effort d’analyse le moindrement élaboré. Il n’a d’autre souci méthodologique que de mobiliser des faits avérés, emblématiques ou anecdotiques, aux fins d’étayer un propos exclusivement descriptif, qui n’apprend rien au spécialiste ou à l’habitué, mais contentera le novice ou le touriste à la recherche d’un panorama accessible de l’histoire du Québec depuis le 16e siècle jusqu’à la fin du 20e siècle. Puisqu’il n’apporte rien de neuf sur le plan argumentatif, interprétatif ou autre, pourquoi republier la synthèse de Jacques Lacoursière? Pour rendre hommage à l’auteur, laisse entendre l’éditeur. À défaut d’être convaincant (la facture de l’ouvrage a tout d’ordinaire; la postface est repiquée d’un ouvrage publié en 2022; le contenu du livre est pratiquement identique à celui de l’édition de 2002, réimprimée plusieurs fois), le motif se défend. Enseigne lumineuse et valeur sûre pour la maison Septentrion, Lacoursière n’est pas, en effet, un historien parmi d’autres. Avec son alter ego Denis Vaugeois, il a, durant un demi-siècle, du début des années 1970 au début des années 2020, joué pour le Québec français un rôle semblable à la charge assumée par Pierre Berton pour le Canada anglais : celui de narrateur du grand récit collectif. À la mort de Berton, en novembre 2004, alors que le Canada anglais était en deuil de biographe, le Globe & Mail de Toronto titrait à la une : « Qui désormais nous racontera notre histoire? » On aurait pu soulever la même question à la suite du départ malheureux de Jacques Lacoursière en juin 2021. Il n’est pas exagéré de comparer cet homme affable et généreux à Garneau (sans l’ambition et le moralisme de l’historien-poète), à Séguin (sans l’assurance et la militance du penseur de l’École de Montréal) et à Dumont (sans la profondeur et le désenchantement du grand sociologue de l’Université Laval). Conciliant et pudique plus que détaché et apolitique, à l’encontre de ce que prétend Vaugeois en postface du livre, le fils de Shawinigan, dans l’esprit de bien des Québécois, demeure la référence principale pour s’informer sur ce qu’il faut savoir « pour être d’un peuple », ce qu’Éric Bédard, sans surprise, note avec enthousiasme dans sa préface louangeuse. Détenir le statut de grand narrateur de la nation n’a pourtant rien d’une sinécure. À ceux qui attendent le « Code », dirait Northrop Frye, il faut offrir un récit qui les informe et les impulse; un récit dans lequel ils se reconnaissent et se retrouvent; un récit qui les amène à découvrir pourquoi se rappeler et de quoi se souvenir. Jacques Lacoursière avait le talent pour répondre à toutes ces espérances. Quelle histoire propose-t-il aux Québécois de leur parcours dans le temps? Il s’agit de l’histoire d’une population d’origine française – de braves gens plaisants et hospitaliers autant que têtus et frondeurs, dit-il – qui s’élève comme peuple dans la dureté de ses rapports avec les autres (hostilité des Iroquois, concurrence des Anglais, petits mépris des Français) et qui, à partir de 1759, évolue dans l’adversité découlant de sa condition difficile, fragile ou minoritaire (tentatives d’assimilation des Anglais; …
Jacques Lacoursière, Une histoire du Québec racontée par Jacques Lacoursière, édition hommage, préface d’Éric Bédard, postface de Denis Vaugeois, Québec, Septentrion, 2023, 232 p.
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Jocelyn Létourneau
CÉLAT, Université Laval
jocelyn.letourneau@celat.ulaval.ca
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