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L’ouvrage du sociologue, intervenant et chercheur Jacques Roy s’intéresse aux obstacles à la relation entre les pères et les intervenantes sociales de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) sous un angle sociologique. Ce court livre, divisé en quatre chapitres, est introduit par un prologue où l’auteur prend position sur les tensions dans la relation entre les pères et les intervenantes sociales. Le premier chapitre définit les formes de socialisation masculines, c’est-à-dire les processus par lesquels les hommes intériorisent les codes, les valeurs et les normes sociales (Akoun, 1999, p. 481). Selon l’auteur, plusieurs traits de la socialisation masculine, comme la négation de sa vulnérabilité, le besoin d’autonomie et la réprobation de toute forme de contrôle, contribuent à la réticence des pères à recevoir l’aide offerte par les services sociaux.

Le deuxième chapitre relate l’expérience d’accompagnement de l’auteur auprès de l’organisme AutonHommie dans le cadre d’un projet subventionné par le ministère de la Justice. Deux histoires vécues sont racontées pour mieux comprendre l’identité masculine des pères. Les points de vue relatés font état d’un sentiment d’injustice vécu par les pères, en plus de celui de ne pas se sentir écoutés. Les résultats sont croisés à ceux de la littérature, d’où il ressort que l’intervention sociale de la DPJ auprès des pères – et des parents plus généralement – reconnaît peu l’expérience parentale, la contribution des parents et leur connaissance des besoins de l’enfant, ce qui fracture la démarche d’aide.

Le troisième chapitre aborde la distanciation culturelle entre les pères et la DPJ. D’un côté, on trouve une culture de professionnels, scolarisés et favorisés sur le plan socioéconomique et, de l’autre, une culture masculine issue plus généralement des milieux populaires aux prises avec divers problèmes. La différence des référents culturels cause des problèmes de communication et de compréhension des réalités de l’autre, notamment parce que les hommes se sentent désavantagés devant le langage clinique et juridique emprunté par les intervenantes sociales.

Le quatrième et dernier chapitre propose quatre pistes d’action pour rapprocher les pères et la DPJ : 1) former les intervenantes sur les réalités masculines ; 2) adjoindre un·e accompagnateur·trice pour traduire les besoins et la réalité des pères; 3) favoriser une intervention misant sur les forces, les acquis et les expériences des pères et 4) appuyer les parents dans leurs rôles parentaux. Pour l’auteur, considérer les parents comme des partenaires est garant d’une intervention sociale réussie. Pour qu’ils deviennent partenaires, pères et intervenantes devront trouver des façons « pour mieux rejoindre l’autre dans sa différence » (p. 67). La socialisation des hommes rend difficile la reconnaissance de leur vulnérabilité alors que la DPJ exige que les pères acceptent l’aide proposée. Une attitude de fermeture peut être mésinterprétée et nuire à la relation. Roy conclut en évoquant sa double posture, à la fois de « spectateur et acteur » et de « sociologue et intervenant ». Cet amalgame de chapeaux lui a permis de coucher par écrit ses réflexions à titre de témoin direct de la relation père-DPJ.

Le message de l’ouvrage est important et louable; peu de travaux ont abordé le point de vue des pères – voire des parents – et la question de la relation avec l’intervenante sociale de la DPJ comme facteur essentiel au bon – ou au mauvais – déroulement de l’intervention en protection de la jeunesse. L’auteur montre intelligemment les inégalités sociales et les rapports de pouvoir qui découlent du cadre institutionnel et de la relation en contexte d’autorité. Il critique la méconnaissance des réalités masculines par les intervenantes sociales de la DPJ et, par conséquent, leurs réponses inadéquates aux besoins des pères. Cette critique est peu soutenue, car elle manque de contexte. Il est difficile d’adhérer à la thèse unique de la socialisation masculine et du manque de connaissances à cet égard pour justifier la distance entre les pères et la DPJ. Les besoins des pères ne sont mis en perspective ni par rapport aux besoins des enfants ni par rapport au mandat de protection de la DPJ. La question de la responsabilité des pères dans la mise en péril de la sécurité ou du développement de l’enfant est complètement absente du texte. Les problèmes (violence, dépendances, santé mentale) les plus fréquents chez les hommes et le rôle qu’ils peuvent jouer dans le suivi social sont autant d’éléments qui contextualisent la culture des pères et qui nuancent les rapports avec l’institution.

En outre, bien que le titre du livre et son objectif portent spécifiquement sur les obstacles rencontrés par les pères, les constats faits par l’auteur sont plutôt généralisables aux deux parents. L’auteur reconnaît en début et en fin de texte que ses résultats ne concernent pas uniquement les pères, malgré son choix de ne pas faire de comparaison selon le genre. Les travaux portant sur les parents – et particulièrement les mères (Sinden, 1999) – en protection de la jeunesse abordent également la réticence, la méfiance et le refus de celles-ci d’être contrôlées. Cet ouvrage représente cependant une importante contribution à la littérature en raison de la richesse de l’expérience de l’auteur et de la démarche professionnelle autoréflexive qui contribue à documenter la réalité des pères en protection de la jeunesse.