Comptes rendus

Claude Corbo, Malraux au Québec. Propos et discours, 1963, Montréal, VLB éditeur, 2022, 175 p.[Record]

  • Jacques Palard

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Il est des ouvrages en forme de carnets de voyage, fût-ce sur un mode chronologiquement différé et sous la plume d’un tiers. Celui que Claude Corbo consacre, près de soixante ans plus tard, à la visite officielle rendue par André Malraux au Québec en octobre 1963 relève de ce registre, tant est soignée la description des étapes richement documentées de ce périple, ainsi remis en scène et en mémoire, et aux prises de parole du ministre de la Culture du général de Gaulle. L’auteur donne à voir et à lire une séquence historique inédite dans sa forme et, pour l’essentiel, dans son contenu. Après une introduction d’une cinquantaine de pages qui permet de cerner le contexte et les enjeux institutionnels de ce « moment » singulier et de se familiariser avec la personnalité de ses principaux protagonistes, la deuxième partie de l’ouvrage s’emploie à « rapailler » (p. 61) les interventions de Malraux au travers d’articles de presse de l’époque. La réception à la fois chaleureuse et diplomatique dont bénéficie alors l’auteur de L’espoir contraste avec celle de sa première visite, un quart de siècle plus tôt, en 1937, en pleine guerre d’Espagne, qui avait donné lieu à un accueil qu’Hervé Bastien a qualifiée d’« assassin » (p. 9) sur le plan politique, sans toutefois manquer d’indiquer que l’« écrivain [Prix Goncourt 1933] fait salle comble » (p. 10; une allocution prononcée à cette occasion est opportunément placée en annexe). Le rôle joué dans la visite de 1963 par l’homologue québécois de Malraux, Joseph-Émile Lapalme, créateur deux ans plus tôt du ministère des Affaires culturelles, est estimé « considérable, et même irremplaçable » (p. 11). La complicité entre les deux hommes, fruit d’une forte sympathie mutuelle, naît de l’« initiative audacieuse » (p. 15) prise dès septembre 1960 par celui qui exerçait les fonctions de vice-Premier ministre et de ministre de la Justice du Québec dans le gouvernement de Jean Lesage lors d’une rencontre non planifiée avec Malraux et qui dut beaucoup à l’entregent de l’avocat d’affaires montréalais Maurice Riel. Lapalme a évoqué dans ses mémoires ce que fut pour lui cette « heure éblouissante » qui s’est traduite, un an plus tard seulement, par l’inauguration de la Délégation générale du Québec à Paris, preuve des plus tangibles de la commune force de conviction dont bénéficiaient les deux hommes d’État. La présentation du programme de la visite de Malraux fait l’objet d’un dossier très détaillé, à la façon d’un « catalogue raisonné » d’exposition. Le lecteur peut suivre ainsi le visiteur heure par heure dès son retour d’Ottawa, le matin du 10 octobre, depuis l’hôtel de ville de Montréal jusqu’au collège Stanislas, cinq jours plus tard, en passant notamment par le Musée des Beaux-Arts de Montréal, l’inauguration de l’exposition industrielle économique française, les rencontres organisées dans la Capitale nationale, au Parlement, avec le lieutenant-gouverneur et à l’Université Laval, puis l’inauguration de la chaire d’histoire de l’art à l’Université de Montréal avant la conférence de presse de clôture à l’hôtel Windsor. Cette feuille de route bien remplie a été mise à profit par Malraux pour exprimer ses réflexions sur les relations entre le Québec et la France et faire part de sa vision du monde… et de l’art devant ses divers auditoires, sans aucune note écrite ni texte officiel, donc en de « brillantes improvisations », comme le souligne Marcel Thivierge (p. 99) dans Le Devoir du 14 octobre à propos de l’allocution prononcée au dîner d’État offert par le gouvernement du Québec à l’hôtel Château Frontenac. Corbo consacre pas moins de six pages, en un tableau serré, à la présentation …