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Dans un ouvrage issu de sa thèse de doctorat, l’historien Philippe Volpé propose une étude de la jeunesse étudiante et des mouvements d’Action catholique en Acadie de 1900 à 1970. Selon Volpé, ces mouvements ont été évacués du récit national acadien depuis la Révolution tranquille, et cette période a été délaissée par les historiens. En étudiant l’émergence, le déploiement et le déclin des mouvements d’Action catholique, il propose une lecture plus nuancée de l’évolution du nationalisme acadien, des grandes conventions de la fin du 19e siècle à la Révolution tranquille des années 1960.
En effet, le récit dominant tend à faire de cette période un moment de bouleversement radical où l’Acadie serait passée d’une société globalement traditionaliste et religieuse à une société moderne, libérale et laïque. L’étude des divers mouvements catholiques orientés vers la jeunesse dans la première moitié du 20e siècle permet à Volpé de démontrer de façon plutôt convaincante que les transformations des années 1960 étaient en germe depuis des décennies et que, loin d’être monolithique, l’Acadie d’avant la Révolution tranquille était plurielle et traversée de vifs débats idéologiques, notamment quant aux liens à entretenir avec les anglophones et le Canada français, ainsi qu’aux finalités de l’action collective.
L’ouvrage se compose de cinq chapitres organisés de façon thématique et globalement chronologique, bien qu’ils se recoupent quelque peu. Le premier aborde la création de l’Association catholique de la jeunesse acadienne (ACJA) en 1908 et ses relations parfois complexes avec son homologue canadienne-française, l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française (ACJC). Le second chapitre analyse l’évolution de l’idéologie portée par les mouvements acéjistes. Ces mouvements visant d’abord et avant tout l’action sociale, ils se sont appuyés sur diverses doctrines au fil des décennies. Volpé retrace la transition d’une doctrine sociale catholique au début du 20e siècle à un recours à une sociologie plus empirique à partir des années 1930-1940, notamment grâce à l’institutionnalisation embryonnaire des sciences sociales en Acadie. Volpé apporte avec ce chapitre une contribution importante à l’histoire des sciences sociales en Acadie. Le troisième chapitre porte sur la multiplication des organismes jeunesse et l’émergence des jeunes – surtout la population étudiante – comme acteur social à part entière. On voit se mettre en place une conscience et une organisation formelle par le biais de coopératives, de médias, de groupes, qui donneront éventuellement lieu à ce que Joël Belliveau a appelé le « Moment 68 ». Le quatrième chapitre s’intéresse plus spécifiquement aux diverses conceptions du nationalisme porté par les acéjistes et les organisations étudiantes. Tiraillées entre un universalisme prôné par l’Action catholique et un ancrage plus localisé prôné par l’Action nationale, les organisations jeunesse furent un lieu d’expression privilégié des débats entourant la définition de la nation acadienne. Enfin, le dernier chapitre est consacré aux transformations de l’éducation postsecondaire et au nouveau rôle de la population étudiante. À l’aube du Ralliement jeunesse de 1966, où la jeunesse fit entendre sa voix, donnant le ton aux manifestations étudiantes et au néonationalisme des années 1970, les jeunes exprimèrent un désir accru de participer pleinement à la société.
Cet ouvrage apporte une contribution indéniable à l’histoire récente de l’Acadie. Notons, parmi les principales contributions : l’analyse de l’émergence des jeunes comme acteurs sociaux; l’analyse du dynamisme du milieu associatif au-delà des organismes plus traditionnellement étudiés; l’analyse des relations entre l’Acadie et le Canada français; un éclairage neuf sur l’émergence des sciences sociales en Acadie; et une lecture plus nuancée des idéologies sociales et politiques dans la première moitié du 20e siècle.
Cependant l’ouvrage reste un peu trop collé à son terrain. Le récit se lit clairement et les sources primaires sont abondantes, mais il manque une profondeur théorique et conceptuelle qui permettrait de mieux contextualiser et de prendre la mesure de l’importance des événements qu’il relate.
Tout d’abord, Volpé dialogue peu avec l’historiographie. Bien que l’on sente que l’un de ses interlocuteurs principaux est Joël Belliveau, dont il conteste les thèses centrales, il n’aborde les travaux de ce dernier que superficiellement. Ensuite, on peine par moments à juger l’importance du mouvement acéjiste. Des informations plus spécifiques, comme l’évolution du nombre de membres et une présentation plus détaillée de la structure organisationnelle, auraient permis de mieux saisir l’objet d’étude et son importance relative. On sent que le mouvement acéjiste a oscillé entre un mouvement social visant l’action et la transformation du monde, et un club social pour la jeunesse estudiantine. La sociologie des mouvements sociaux aurait offert à Volpé des concepts utiles pour catégoriser plus formellement ces modes d’existence du mouvement acéjiste et insister plus fortement sur ce qui semble avoir été sa principale contribution : socialiser la jeunesse au nationalisme et créer un réseau social pour l’élite en devenir.
Malgré ces quelques faiblesses, l’ouvrage de Volpé jette un éclairage nouveau et rigoureux sur une période de transformations profondes jusqu’ici peu étudiée.