L’étude de l’intersection entre nationalisme et économie est en effervescence depuis une dizaine d’années. Par le passé, des économistes avaient certes identifié, d’une part, l’influence du nationalisme sur certains enjeux économiques, notamment ceux concernant la consommation ethnocentrique et le protectionnisme, tout comme des théoriciens du nationalisme avaient souligné, d’autre part, l’importance de transformations économiques majeures sur l’avènement de la nation en tant qu’unité politique moderne, de même que l’impact du capitalisme d’impression (print capitalism) sur l’uniformisation des langues et sur la création, par voie de conséquence, de communautés imaginées. Au cours des dernières années, cependant, les études combinant ces deux champs tendent davantage à adopter une perspective interdisciplinaire et à explorer la réciprocité des impacts entre pratiques nationalistes et pratiques économiques. Il émerge de ce courant un grand nombre de travaux dans lesquels s’inscrit l’ouvrage de X. Hubert Rioux, Les États stratèges. Nationalisme économique et finance entrepreneuriale au Québec et en Écosse. L’étude de Rioux a pour objectif principal de mettre en lumière, à partir d’une analyse de politiques publiques et d’une analyse de discours, comment au Québec et en Écosse le nationalisme économique sous-tend les politiques publiques d’un secteur particulier du développement économique et industriel, à savoir le milieu de la finance entrepreneuriale. Ce faisant, il retrace de manière systématique l’émergence des sociétés d’États et des fonds publics d’investissement ayant participé, au cours des 60 dernières années, au développement de l’entrepreneuriat au Québec et en Écosse. La forte intervention des gouvernements québécois et écossais dans leur économie respective, selon Rioux, ne peut être expliquée sans prendre en compte l’apport du nationalisme économique et minoritaire de ces nations non souveraines. Ce nationalisme, avance-t-il, a incité les gouvernements successifs de ces régions à étendre et affiner leurs interventions à des fins de croissance économique, mais aussi de construction nationale et étatique. Au fil de son analyse, l’auteur met en évidence la singularité des politiques économiques de ces nations subétatiques et avance que les pratiques interventionnistes au sein de la finance entrepreneuriale, combinées à une recherche constante d’autonomie, sont propres à ces « États stratèges » québécois et écossais, ainsi qu’il les définit, surtout lorsqu’il les compare aux modèles économiques qui prévalent dans le reste de leur État central respectif, soit le Canada et le Royaume-Uni, qui se conforment davantage aux normes libérales de libre-marché. Les États stratèges québécois et écossais n’hésitent donc pas, comme le démontre empiriquement Rioux, à intervenir dans leur économie par l’entremise d’investissements publics afin d’y développer un écosystème entrepreneurial reflétant leur intérêt économique tout autant que leur identité politique. Son analyse l’amène à conclure que le nationalisme, de surcroît le nationalisme économique, n’est pas une idéologie illibérale profitant à une poignée d’acteurs politiques et économiques : le modèle de l’État stratège, tel qu’il s’est développé au Québec et en Écosse, « repose avant tout sur un engagement authentique, ancien et continu en faveur de l’intérêt général, ancré dans les principes de l’autodétermination nationale » (p. 217). Outre le cadre d’analyse novateur proposé par Rioux, conciliant l’étude du nationalisme et des politiques économiques, le tour de force de l’ouvrage est d’avoir retracé l’historique de la finance entrepreneuriale au Québec et en Écosse en recensant les dizaines de sociétés d’État et de fonds publics d’investissement qui y ont contribué au cours des décennies. L’exhaustivité de l’objet couvert par l’auteur, néanmoins, escamote inévitablement la qualité de certaines démonstrations visant à expliquer en quoi le nationalisme serait à la base d’initiatives économiques spécifiques. Le motif nationaliste qui sous-tend le développement de la finance entrepreneuriale au Québec et en Écosse demeure ainsi tacite pour nombre des interventions politiques …
Hubert Rioux, Les États stratèges. Nationalisme économique et finance entrepreneuriale au Québec et en Écosse, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2022, 328 p.[Record]
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Dave Poitras
Université de Montréal
dave.poitras@umontreal.ca