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La réouverture de la Charte de la langue française (loi 101), avec la présentation du projet de loi 96, a ravivé tant le débat linguistique québécois que les tensions entre les citoyens francophones et anglophones. Depuis longtemps, la protection du fait français au Québec a été opposée à la reconnaissance identitaire des Anglo-Québécois et à la sécurisation des institutions qui leur sont propres. Toutefois, La Charte. La loi 101 et les Québécois d’expression anglaise, un ouvrage collectif bilingue dirigé par Lorraine O’Donnell, Patrick Donovan et Brian Lewis, permet de réfléchir sérieusement sur ces sujets en évitant brillamment les raisonnements manichéens, rhétoriques et souvent inexacts. Ce livre, qui contient la plupart des contributions présentées lors d’un colloque organisé en 2017 sur les « quarante ans de la loi 101 », se révèle extrêmement actuel et pertinent. De plus, grâce à la diversité des auteurs signant ses chapitres, l’ouvrage enrichit considérablement la littérature relative à la sociologie du Québec, et ce, particulièrement en raison de trois apports scientifiques majeurs.
D’abord, plusieurs contributions mettent en lumière l’essence hétérogène d’une communauté anglophone dont les membres ont peu de caractéristiques et de revendications véritablement communes. Par exemple, la capacité pour un citoyen ou pour une communauté de s’épanouir en anglais varie considérablement d’une région à l’autre. Dans cette veine, la vulnérabilité du français dans la région de Montréal ne saurait occulter le fait que plusieurs anglophones, dont ceux qui sont Estriens ou Gaspésiens, peinent à maintenir les institutions et le sentiment d’appartenance qui façonnent leur identité. Ainsi, cet ouvrage démontre à quel point il est aussi insensible qu’inexact d’étudier la situation de l’anglais au Québec (et celle du français) sans comprendre qu’elle est loin d’être uniforme, mais plutôt faite toute de nuances. Dans cette veine, Anctil, Williams et Diabo démontrent, respectivement, que les Anglo-Québécois juifs, noirs et autochtones vivent des réalités et ont des préoccupations très différentes de celles d’anglophones dont les ancêtres sont arrivés après la Conquête. De là, on peut faire le constat qu’il y a plusieurs façons d’être Anglo-Québécois et que cette identité se révèle aussi plurielle que complexe. Ce constat s’avère salutaire afin de favoriser la compréhension mutuelle entre citoyens du Québec.
Ensuite, puisque les débats identitaires sont aussi passionnés que polarisants, analyser correctement l’impact de la loi 101 sur les Anglo-Québécois et leur appréciation de cette Charte exige le dépassement des narratifs idéologiques. Cet ouvrage le permet en dressant des portraits approfondis et nuancés tant du droit linguistique québécois que des diverses communautés anglo-québécoises. En effet, si des opinions différentes peuvent coexister, il ne peut pas en être de même pour les faits et il importe que les pendules soient remises à l’heure. Plusieurs mythes, pourtant tenaces politiquement et médiatiquement, peuvent alors être déboulonnés. Par exemple, Lepage (p. 44-45 et 54) et Paillé (p. 77) démontrent que le solde migratoire interprovincial négatif du Québec n’est pas caractéristiquement saillant à l’échelle canadienne et que l’adoption de lois linguistiques à elle seule est loin de l’expliquer. De plus, McDougall constate que la loi 101 n’est pas incompatible avec le constitutionnalisme canadien (p. 132 et 134). Non seulement elle en fait intégralement partie, mais elle l’a aussi transformé en y introduisant la notion de droits collectifs substantifs, surtout au bénéfice des francophones hors Québec (Ibid.). De là, cet ouvrage peut contribuer à élever le niveau de délibérations pourtant contradictoires sur les enjeux linguistiques.
Se fixer cet objectif met en lumière l’apport scientifique le plus saillant de l’ouvrage recensé afin de faire évoluer l’étude sociologique du Québec. En effet, cet ouvrage permet de comprendre, au moyen d’une approche pluridisciplinaire aussi pertinente que nécessaire, le rôle structurant de la loi 101 au-delà de sa contribution à l’affirmation des Franco-Québécois. Cela s’avère particulièrement innovateur puisque, comme O’Donnell l’a constaté, les réalités et les perspectives des Anglo-Québécois ont longtemps été de grandes oubliées des études québécoises (p. 472). Il semble alors exister peu de ponts entre les rives francophones et anglophones du monde universitaire québécois afin d’étudier des enjeux sociétaux qui leur sont pourtant communs. Cet ouvrage remédie à cette situation en établissant, comme les auteurs le souhaitent en introduction, un dialogue entre l’ensemble des citoyens du Québec sur le rôle de la langue comme instrument de pouvoir (p. 36). Concrètement, cet ouvrage reconnait aux Anglo-Québécois une importance cruciale au sein de la nation québécoise et un rôle actif au-delà des préjugés et des perspectives simplistes. Conséquemment, il contribue tant à l’édification d’une littérature sociologique authentiquement anglo-québécoise qu’à celle d’une nation québécoise pluraliste et unie au terme de débats linguistiques certes ardents, mais féconds et ultimement constructifs.