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Les quatre mousquetaires de Québec est le troisième ouvrage publié par Alexandre Dumas, jeune historien spécialisé dans l’histoire politique et religieuse du Québec. Intéressé par les liens entre l’Église catholique du Québec et le monde de la politique, l’auteur a notamment fait sa marque dans le champ historiographique en proposant des interprétations originales qui remettaient en question le bien-fondé de la thèse de la toute-puissance de l’Église sur les affaires de l’État durant la première moitié du 20e siècle. Mentionnons d’ailleurs que son livre, L’Église et la politique québécoise, de Taschereau à Duplessis, publié chez McGill-Queen’s University Press en 2019, a été sélectionné au Prix de la présidence lors de l’édition 2020 des Prix du livre politique de l’Assemblée nationale du Québec.
Dans son étude publiée aux éditions du Septentrion en 2021, Dumas porte cette fois-ci son attention sur les trajectoires politiques de René Chaloult, Oscar Drouin, Ernest Grégoire et Philippe Hamel, figures intimement associées à l’Action libérale nationale (ALN). Surnommés les quatre mousquetaires de Québec par les médias de l’époque, ces personnages ont connu des parcours politiques fascinants durant les années 1930, parcours qui n’ont toutefois pas fait l’objet de beaucoup d’études par les historiens. Pour pallier cette carence historiographique, Dumas s’est attelé à reconstruire la trame des événements qui ont conduit ces quatre personnages au coeur du monde de la politique provinciale. Pour ce faire, l’auteur a eu recours à une approche méthodologique classique, proche de la chronique, très efficace et qui s’appuie sur un corpus de sources composé de pièces de correspondance, d’articles de journaux ainsi que de documentation tirée du Journal des débats de l’Assemblée nationale – alors désignée Assemblée législative.
La thèse de l’auteur est ambitieuse : le système politique québécois des années 1930, fortement teinté par la partisanerie et les rivalités entre les bleus et les rouges, aurait miné les propositions réformistes des quatre mousquetaires. Ce serait donc l’esprit de parti qui serait l’une des principales causes du retard du Québec durant les trois décennies précédant la Révolution tranquille. Une thèse originale donc, qui s’inscrit dans la lignée interprétative proposée par l’auteur dans ses précédents ouvrages et qui est, force est de l’admettre, très bien démontrée au fil des onze chapitres qui composent le livre.
Dans l’ensemble, Dumas a su reconstruire avec brio la trajectoire des quatre mousquetaires, qui ont fait leur marque au sein de l’ALN. Épousant les thèses réformistes de l’École sociale populaire et s’inspirant des grandes lignes de la Doctrine sociale de l’Église, l’ALN s’alliera aux conservateurs menés par Maurice Duplessis afin de se partager les circonscriptions électorales lors des élections de 1935 pour espérer vaincre le Parti libéral de Louis-Alexandre Taschereau. L’ALN remportera de nombreux sièges lors de ces élections, en faisant élire 29 candidats tandis que les conservateurs de Duplessis en feront élire 16. Le succès de l’ALN repose alors sur le charisme de ses dirigeants, mais aussi sur l’avant-gardisme de leurs réformes proposées dans le contexte de la Crise économique des années 1930.
Toutefois, jouant de stratégie, Duplessis en vient à occuper rapidement l’avant-scène de la nouvelle alliance ALN-conservateurs et à récuser certaines promesses de réformes chères au coeur des réformistes – dont la fameuse nationalisation de l’électricité. Une querelle l’opposant à Paul Gouin vient fracturer l’alliance entre les deux partis qui sera finalement de courte durée. En 1936, la majorité des députés de l’ALN s’allient à Duplessis qui fonde alors le parti de l’Union nationale (UN). Comme on le sait, l’UN remportera une victoire éclatante lors des élections de 1936, dans le sillon du scandale des finances publiques qui éclabousse le Parti libéral de Taschereau. Les quatre mousquetaires se retrouvent alors isolés de l’antichambre du pouvoir, alors même que leurs idées ont grandement contribué à la victoire de l’Union nationale. En guise de réplique, ils mettront sur pied le Parti national, qui reprendra les grands thèmes défendus par l’ALN, dont la nationalisation de l’électricité, la lutte à la corruption électorale, la création d’un code du travail, la lutte contre les monopoles et la modification du statut de la femme mariée pour l’administration de ses biens. Faut-il rappeler que ces propositions seront pour la plupart adoptées trente ans plus tard, par le gouvernement libéral de Jean Lesage lors de la Révolution tranquille.
Une des forces de l’ouvrage d’Alexandre Dumas est d’avoir mis à jour les idées avant-gardistes des quatre mousquetaires de Québec, qui ont su proposer les réformes nécessaires au développement de la société canadienne-française du Québec durant la Crise des années 1930. N’eût été la toute-puissance du système bipartite qui a mis un frein à la concrétisation politique de leurs idées, nul doute que ces quatre personnages auraient mené à terme de nombreuses réformes socioéconomiques qui ont finalement mis plus de trois décennies à se concrétiser.