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En 2018, le pédo-urgentiste montréalais Samir Shaheen-Hussain doit soigner des enfants autochtones originaires du nord du Québec et du Nunavik qui ont été transférés à Montréal par les avions d’Évacuations Aéromédicales du Québec (ÉVAQ). Il constate qu’aucun enfant n’est accompagné par un parent. ÉVAQ et le Gouvernement du Québec justifient cette pratique par la complexité des enjeux techniques et des coûts trop importants qu’occasionnerait l’accompagnement des enfants. Cependant, le Québec était, à ce moment, la seule province canadienne à appliquer une telle règle. Cette situation, attribuable à une règle implicite qui interdit aux parents de monter à bord des avions, a amené Shaheen-Hussain à s’intéresser à l’histoire des relations entre les autochtones et le système de santé canadien. Il a dégagé deux éléments qui expliquent l’application de cette règle et le refus gouvernemental de l’interdire : le colonialisme médical et le racisme systémique.
Selon Shaheen-Hussain, le système médical a contribué activement au colonialisme canadien en nuisant délibérément à la santé des autochtones, c’est ce qu’il nomme le colonialisme médical. Le livre regorge d’exemples illustrant le peu de considération du système médical pour le bien-être des autochtones. Les exemples sont variés, mais ils partagent les deux mêmes fondements : la séparation des familles et le non-respect du consentement médical. Séparés de leurs parents, les enfants perdaient la protection légale permettant de refuser certains actes médicaux, le consentement aux soins n’était plus requis. Quant aux patients adultes, ils avaient l’obligation de se soumettre à tout acte médical voulu par les médecins et d’accepter de quitter leur collectivité, sans quoi ils ne pouvaient recevoir de soins. Shaheen-Hussain considère que le colonialisme médical a introduit l’idée que la présence des parents et l’obligation éthique de respecter le consentement des patients seraient une entrave aux traitements médicaux, idée qui est au fondement de la règle du non-accompagnement. Bref, le colonialisme médical a fait entrer des idées racistes dans la pratique de la médecine, minant les droits des autochtones.
Les idées racistes peuvent perdurer à l’intérieur de l’appareil étatique et des établissements d’enseignement sous la forme du racisme systémique. Shaheen-Hussain le définit comme une forme inconsciente de racisme que véhiculent des préjugés à travers les institutions sociales héritées du colonialisme. Les individus étant grandement influencés par les institutions, ils intériorisent les préjugés et adoptent des pratiques discriminatoires sans en être conscients. Selon l’auteur, le racisme systémique est omniprésent dans les facultés de médecine puisque la médecine moderne a pu se développer en partie grâce à des expériences menées sur des personnes racisées. De plus, il considère que les critères utilisés pour admettre les étudiants dans les programmes de médecine engendrent une compétition malsaine et discriminatoire donnant un avantage aux personnes issues de milieux favorisés plutôt que d’assurer la sélection des meilleurs candidats. Cela entraîne une surreprésentation des personnes blanches et une incompréhension de la réalité des minorités, en particulier des réalités autochtones.
Shaheen-Hussain attribue au racisme systémique l’opposition du Gouvernement du Québec et de la direction d’ÉVAQ à l'abolition de la règle du non-accompagnement. Il voit un lien entre certains propos racistes tenus par le ministre de la Santé de l’époque, Gaétan Barrette, sa formation de médecin et le racisme systémique. Bien qu’il affirme que le racisme systémique est présent dans l’ensemble de l’appareil étatique, il croit que le ministre a été un acteur central dans le refus du gouvernement d’abolir la règle du non-accompagnement.
Pour mettre fin au colonialisme médical et au racisme systémique, Shaheen-Hussain recommande de revoir les critères d’admission dans les facultés de médecine afin qu’elles acceptent plus de candidats autochtones. Il recommande d’inclure dans la formation des cours s’inspirant des initiatives de sécurisation culturelle, de faire une plus grande place aux pratiques de soins traditionnelles. Il propose aussi que l’État permette aux autochtones de s’autodéterminer en matière de soins et de services de santé. Selon lui, ces mesures devraient contribuer à réduire la discrimination dans les soins de santé et amenuiser la domination qu’exerce l’État à l’endroit des autochtones.
Plus aucun enfant autochtone arraché sensibilise au colonialisme médical canadien en montrant que les rapports de domination sur lesquels il repose sont encore présents et maintiennent en place des pratiques discriminatoires comme la règle du non-accompagnement. Les explications avancées par l’auteur sont plausibles et aident à comprendre la situation des autochtones canadiens. Toutefois, en s’intéressant au colonialisme médical et au racisme systémique posés comme un phénomène social pancanadien, Shaheen-Hussain omet les particularités provinciales. Or, ce n’est qu’en 2018 que le Parti libéral du Québec a interdit le non-accompagnement des enfants, devenant la dernière province à abolir cette pratique. En incluant plus d’éléments spécifiques au contexte québécois, il aurait été intéressant d’identifier les facteurs responsables de ce retard. Malgré cette lacune, il s’agit d’une bonne introduction au colonialisme médical.