Comptes rendus

Jocelyn Létourneau, La condition québécoise. Une histoire dépaysante, Québec, Septentrion, 2020, 320 p.[Record]

  • François-Olivier Dorais

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Dans cette version rehaussée d’un bref ouvrage paru en 2004 – Le Québec, les Québécois : un parcours historique – Jocelyn Létourneau nous peint une fresque de la trajectoire historique du Québec que l’on peut considérer comme le second acte – prospectif – de ses plus récents travaux sur la conscience historique des jeunes Québécois. Fidèle à son épistémologie du « passage à l’avenir », l’historien nous propose une contre-histoire du « roman national accrédité » (p. 13) qui, sans les abolir, souhaite avant tout « ébranler », sinon « dépayser », les repères historiaux et mémoriels par lesquels se définissent les Québécois. Létourneau ne s’en cache pas, il écrit surtout pour la jeunesse d’aujourd’hui qui, selon lui, a soif d’un récit qui ferait d’elle « l’héritière d’un parcours d’édification et d’élévation aussi, plutôt que la légataire d’une histoire d’impuissance et de résistance seulement » (p. 296). Cette proposition normative à la clé du livre ne remet pas pour autant en question sa réelle contribution historiographique, et celui-ci saura certainement interpeller le public érudit et peut-être surtout les enseignants et professeurs qui veulent enrichir le contenu de leurs cours en histoire du Québec. Saluons aussi le courage de l’auteur qui a risqué l’exercice périlleux de la synthèse, manière de donner corps à sa vision du passé (et de l’avenir) que certains jugent parfois trop abstraite et conceptuelle. Dense et peut-être parfois un peu trop ampoulé, le texte reste fort bien écrit et a le mérite d’être ponctué de nombreux exemples qui donnent « chair » aux interprétations en plus d’être rehaussé de nombreux points d’approfondissement en notes de bas de page. Avec un parti pris assez clair pour l’histoire sociale et économique, l’auteur souhaite surtout mettre au jour les « processus entremêlés et ambivalents, dissonants et divergents, singuliers et universels » du cheminement historique québécois (p. 13-14). Le récit gagne en diversité et en souplesse ce qu’il perd toutefois en linéarité et en intelligibilité. On est ici, en effet, moins devant une histoire de la nation québécoise en tant que projet de rassemblement de la diversité qu’une histoire de la société québécoise, dans ce qu’elle a de multiple, de paradoxal et de fragmenté. Mais à travers ces paradoxes se dessine une matrice de la condition québécoise qui, selon Létourneau, expliquerait pourquoi elle s’est presque toujours dessinée dans des lieux politiques étrangers aux formes extrêmes, soit le « pragmatisme libéral », le « progressisme conservateur » et le « réformisme tranquille » (p. 297). Ce programme annonce la charpente du livre qui, à dessein, privilégie une « chronologie molle plutôt que stricte » (p. 14) avec des chapitres exempts de dates charnières. Le Québec suit un parcours sinueux, entre ses passages, ses ambiguïtés et ses incertitudes. La trame insiste aussi sur les périodes récentes de l’histoire québécoise – le 20e siècle occupe presque la moitié du livre – signe que l’auteur souhaite surtout s’attaquer à ce qui touche la « mémoire forte » (p. 14) des Québécois. Dans le chapitre « Initialisation », Létourneau analyse la nature de la rencontre entre Européens et Autochtones sous le signe d’une « cohabitation dissonante » (p. 45) qui prend la forme d’une « colonisation fondée sur l’interdépendance » (p. 26). Cette mutualité des rapports, qui laisse place à plusieurs influences réciproques, s’effrite à mesure que le capitalisme marchand s’implante dans l’espace nord-américain et déstructure le monde autochtone. Le chapitre qui suit – « Fondation? » – porte sur la Nouvelle-France, une société qui, victime du manque de volonté de sa mère patrie, hésitant entre les pôles agricole et commercial, soumise aux …