Comptes rendus

André Turmel, Le Québec par ses enfants. Une sociologie historique (1850-1950), Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2017, 332 p.[Record]

  • David Gaudreault

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Dans cet ouvrage, André Turmel se propose de saisir l’enfance comme « porte d’entrée de la modernisation » (p. 13) du Québec, c’est-à-dire de voir en quoi les changements entourant l’enfance éclairent les mutations de la société québécoise pour la période 1850-1950. En cela, l’ouvrage est une mise en oeuvre du programme de recherche précédemment développé par l’auteur, notamment dans sa Sociologie historique de l’enfance dont le projet est de comprendre « pourquoi et comment l’enfance est une réalisation historique » (Turmel, 2013, p. 5). Le Québec par ses enfants compte six chapitres, de longueur variable, qui confèrent à l’ouvrage une structure cohérente. Le premier chapitre propose un survol de la thèse de l’auteur et de son appareillage conceptuel. Insistant sur les insuffisances de la théorie classique de la modernisation – schéma linéaire et dual selon lequel les sociétés passeraient de la « tradition » à la « modernité » selon une logique séquentielle plus ou moins universelle, Turmel suggère de problématiser ce processus historique en s’autorisant à y voir du « métissage » et de « l’hybridation ». Alimentée par le paradigme des Subaltern studies, cette réflexion débouche sur l’hypothèse fondatrice de l’ouvrage, soit celle d’une « modernité alternative hybride » (p. 29). À l’encontre des « discours circulant », répète l’auteur, la société québécoise n’est pas « en retard » par rapport au mode de production capitaliste et industriel, mais témoigne de la « viabilité d’une adaptation innovante » (p. 30). Toute l’ambition de l’ouvrage consiste à relire ces processus historiques par le prisme particulier du « collectif de l’enfance » que l’auteur définit, d’après la sociologie de Bruno Latour et la théorie de « l’acteur-réseau », comme « un dispositif d’agencement interindividuel et intergroupe qui rassemble enfants et acteurs interagissant ensemble » (p. 16). Le regard analytique est donc moins porté sur l’enfance en tant que telle que sur « le corps communautaire » qui la constitue historiquement, celui-ci étant « composé d’entités hétérogènes – humaines et non humaines – qui fabriquent et recomposent le lien social dans un sens qu’il s’agit de porter au jour » (p. 27). Ce qui intéresse tout spécialement Turmel est l’intégration de nouveaux éléments dans ce « collectif » (lutte à la mortalité infantile et juvénile, discours hygiénistes, pratiques médicales, vaccins, psychologues, institutions, etc.) et la circulation des enfants en son sein. Les trois chapitres suivants font la démonstration de la thèse de la « modernité alternative hybride », chacun traitant d’un aspect central de la mutation de la condition de l’enfance au Québec. Après avoir passé en revue la littérature démographique et historiographique, Turmel rappelle d’abord les modalités du passage d’un régime démographique de forte fécondité à un régime de faible fécondité. Dans le dernier tiers du XIXe siècle et au début du XXe siècle, les anglophones connaissent une baisse de fécondité semblable à ce qui est observé pour d’autres provinces et pays occidentaux, tandis que les francophones conservent une natalité plus élevée. À l’appartenance linguistique s’ajoute le facteur religieux : les catholiques, y compris d’origine britannique, ont plus d’enfants que les femmes des autres confessions. Il existe donc plusieurs régimes démographiques dans le Québec de la période à l’étude. Chacun des trois principaux groupes ethnoculturels (anglo-protestants, anglo-catholiques et franco-catholiques) entame sa transition à un moment et un rythme différent – d’où « l’hybridité » du passage à la modernité. Cette situation présente des similitudes avec celles du travail et de l’éducation des enfants. Longtemps, les Québécois restent les moins scolarisés au pays : en 1891, ils sont deux fois plus nombreux à être analphabètes que les …