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Ce livre est une traduction de l’ouvrage « The White Man’s Gonna Getcha. The Colonial Challenge to the Crees in Quebec », publié par Toby Morantz en 2002 aux éditions McGill-Queen’s University Press. L’auteure est anthropologue spécialisée en ethnohistoire. Professeure émérite à l’Université McGill, elle s’est beaucoup intéressée au commerce des fourrures ainsi qu’aux relations entre Autochtones et blancs. Mis à part quelques ajouts en début d’ouvrage, le contenu n’a pas subi de modifications. Un mot de la traductrice, Patricia Raynault-Desgagné, dans lequel elle justifie certains choix de traduction, a été ajouté ainsi que ses remerciements. Toby Morantz signe également un post-scriptum dans lequel elle remercie la traductrice d’avoir pris l’initiative de publier l’ouvrage en français.
Le livre traite de l’expérience du colonialisme vécue par les Cris de la côte est de la Baie James et des changements qu’elle a engendrés dans leur société. Il se concentre sur la période allant du début du XXe siècle jusque dans les années 1960. L’analyse de nombreuses archives permet l’examen des relations entre les Cris et diverses figures du changement telles que les missionnaires, les agents gouvernementaux et les employés de la Compagnie de la Baie d’Hudson. La proposition centrale est que le commerce des fourrures n’a pas radicalement transformé la société crie d’un point de vue spirituel, social, économique, politique et culturel. C’est plutôt l’imposition de pouvoirs et d’une suprématie financière par le gouvernement qui est présentée comme responsable de la perte d’autonomie des Cris et de leur entrée dans une relation de dépendance. Tout en décrivant comment le colonialisme s’est déployé dans ce contexte, l’étude témoigne du fait que les changements survenus ne sont pas tous signes de destruction. Soulignant le caractère adaptatif de la société crie, le livre permet de découvrir comment cette dernière a assuré sa survie tout en faisant face à une perte d’autonomie.
Le livre est divisé en huit chapitres incluant une introduction, une conclusion et un épilogue. La démonstration est donc organisée en cinq chapitres. Le deuxième dépeint le contexte de vie à la fin du XIXe siècle : conditions du marché des fourrures, nouvelles habitudes alimentaires, santé, croyances, etc. Cette description vise à permettre une compréhension des continuités et des changements observés au siècle suivant. Le troisième chapitre, qui se concentre sur l’introduction du christianisme et sa propagation, expose comment les Cris ont puisé dans le christianisme ce qui leur était nécessaire pour répondre à leurs besoins dans un contexte de transformation. Ce pragmatisme des Cris traverse les chapitres et a contribué à les détacher d’une posture victimaire. Le quatrième chapitre traite des adaptations aux changements survenus en lien avec le territoire : développement du chemin de fer, diminution des populations d’animaux à fourrure et du gibier, chute du prix des fourrures, famine, pauvreté, technologies de communication rompant l’isolement, etc. Les stratégies d’adaptation des divers groupements cris selon leur localisation sont abordées. Le cinquième chapitre porte sur les interventions du gouvernement et le développement de ses intérêts dans la région, menant à celui de structures de gestion étatique des territoires et à la naissance d’une bureaucratie et d’un système d’assistance. Le sixième chapitre décrit la création d’institutions allochtones en matière de santé, de scolarisation et d’économie (emploi). Le quotidien est sous la loupe dans ce chapitre qui traite notamment de la question de l’éloignement des activités de trappe et des changements de gouvernance. Le septième chapitre, qui tient lieu de conclusion, revient sur la proposition selon laquelle le colonialisme subi par les Cris du Québec a été de type bureaucratique, caractérisé par l’introduction de services étatiques de qualité médiocre, plutôt qu’un colonialisme de peuplement. L’épilogue s’attarde sur une époque plus récente et décrit des mobilisations cries, dont celles ayant mené à la Convention de la Baie-James, qui ont participé à l’unification de la nation.
Porter son regard sur l’expérience du colonialisme dans une société constituée de groupes aux réalités distinctes représente un défi. L’ouvrage réussit bien à montrer en quoi la dispersion des groupements cris sur un vaste territoire a engendré une variété d’expériences. Ainsi, les groupes de la côte et ceux de l’intérieur des terres sont continuellement distingués et l’ouvrage décrit également les contextes propres à chacun des postes de traites. Les citations, anecdotes de la vie quotidienne qui sont relatées ainsi qu’un recours aux archives favorisent la compréhension des dynamiques en jeu et fournissent une perspective nuancée sur un phénomène global, mais ces passages parfois très détaillés alourdissent un peu l’argumentation.