Comptes rendus

Marie-Claude Loiselle, La communauté indomptable d’André Forcier, Montréal, Les Herbes rouges, 2017, 181 p.[Record]

  • Andrée Fortin

…more information

Le cinéaste André Forcier a remporté le Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques en 2010, et le Prix Albert-Tessier (Prix du Québec, cinéma) en 2003. De telles distinctions viennent consacrer une longue carrière, ponctuée de nombreux articles (critiques de films et entretiens) tant dans les revues culturelles que les journaux. Il n’en demeure pas moins que le livre de Marie-Claude Loiselle est le premier consacré à Forcier. Loiselle veut défendre et illustrer « la présence insolite et radicalement singulière de cette oeuvre dans l’histoire du cinéma québécois » (p. 122), à travers ce petit livre qui ne dit pas tout sur Forcier, mais se centre sur l’essentiel : la communauté, la poésie, le burlesque, le Québec. L’auteure entre de plain-pied dans l’univers du cinéaste, sans s’encombrer d’une présentation systématique de ses films. Qui ne les a pas vus risque de se perdre, pourrait-on croire, mais tel n’est pas le cas, car le livre fournit suffisamment de clés et de références pour que le lecteur saisisse l’imaginaire qui se déploie dans l’oeuvre au fil des ans. Et ici parler d’imaginaire, c’est renvoyer à une utopie, au rêve où, pour ne prendre que quelques exemples, la femme aimée est une sirène (Kalamazoo), un albinos flotte parmi les étoiles pour s’élever jusqu’à l’Abinie (Au clair de la lune), le pacemaker d’une adolescente permet de faire démarrer une moto (L’eau chaude, l’eau frette), une enfant muette, vivant en Abitibi, se met du jour au lendemain à parler gaélique (Je me souviens). Loiselle à ce propos évoque « un entrelacs d’univers oniriques » (p. 87), « d’êtres au coeur gonflé d’absolu » (p. 91) ; selon elle, « l’imaginaire n’est jamais chez Forcier un moyen d’échapper au réel, mais plutôt ce qui permet de mieux le révéler » (p. 88). Et ce qui se révèle de la sorte, c’est la communauté, sa « résistance joyeuse, pleine d’invention et de fantaisie » et son « esprit d’insoumission » (p. 34). La communauté « indomptable » chez Forcier a ainsi une existence autonome, sans pour autant gommer les personnages, tout autant « indomptables », dont elle se compose. Ce qui distingue avant tout Forcier dans le cinéma québécois, c’est que son oeuvre se situe « à mille lieues du drame psychologique » (p. 42), et qu’elle ne se veut pas réaliste ; pourtant la communauté qu’il raconte s’incarne dans des lieux concrets, notamment la Rive-Sud de Montréal, où le cinéaste a grandi. C’est ainsi qu’il « rend hommage » (p. 19) au boulevard Taschereau et au motel Oscar dans Night Cap et Le vent du Wyoming, et bien sûr à Coteau-Rouge, quartier de Longueuil, dans Coteau Rouge. Cette vision positive de la banlieue le distingue de plusieurs cinéastes de sa génération qui, soit présentent une vision grinçante de la banlieue (comme Denys Arcand), soit situent la communauté à la campagne ou dans les quartiers centraux de Montréal (comme Gilles Carle, avec lequel les parallèles sont toutefois nombreux). Forcier ne filme pas que Longueuil, mais également certains quartiers centraux, comme la rue Saint-Denis d’avant la gentrification (L’eau chaude, l’eau frette). En général, ses films sont marqués tant par le burlesque que par la poésie, et le cinéaste présente une « galerie d’êtres atypiques » (p. 28), plongés dans des « situations abracadabrantes » (p. 26), « créant une matière en fusion de laquelle tout peut surgir à chaque instant » (p. 116). Loiselle pointe plusieurs éléments sur lesquels elle n’insiste pas, dont je ne mentionne ici que deux. La place des …