Comptes rendus

Geneviève Zubrzycki, Beheading the Saint. Nationalism, Religion and Secularism in Quebec, Chicago et London, University of Chicago Press, 2016, 226 p.[Record]

  • Sylvie Lacombe

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La Révolution tranquille est, sans aucun doute, la période la plus marquante de l’histoire encore récente du Québec, et à ce titre, l’une des plus analysées par les chercheurs en sciences humaines et sociales. On pourrait donc croire que tout a été dit sur cette période charnière du passage de la société canadienne-française traditionnelle à la société québécoise résolument moderne, et plus particulièrement, sur la transfiguration du nationalisme culturel (canadien-français) en un nationalisme politique (québécois). Eh bien, non! Beheading the Saint jette un regard neuf sur cette transition, et montre en outre les traces de son inachèvement dans la société contemporaine. Zubrzycki résume d’abord comment l’Église catholique s’est imposée comme porte-parole privilégié des Canadiens français face aux pouvoirs britanniques. Sa trop célèbre mission providentielle en terre d’Amérique s’incarne dans le personnage de saint-Jean-Baptiste : comme Jean annonce la venue du Christ, dans le récit biblique, les Français introduisent dans le Nouveau Monde la civilisation chrétienne, dans le récit clérico-nationaliste. Rien de neuf ici, me direz-vous. Regardons-y de plus près. La nouveauté réside dans l’approche méthodologique et théorique : Zubrzycki pratique une sociologie visuelle et matérielle qui porte grande attention aux rituels et performances publiques, en mettant en relation les discours et les symboles dans ce qu’ils ont de plus concret. Elle scrute la matérialité des mots et des objets. Ainsi en est-il de la fête nationale. Célébrée le 24 juin, la fête de la Saint-Jean-Baptiste culmine dans le défilé de chars allégoriques représentant, selon les années, les diverses communautés canadiennes-françaises du sous-continent, des commerces et de grandes industries, les grands moments historiques de la province et/ou diverses facettes de la société québécoise. Sur le dernier de ces chars trône un enfant personnifiant Jean le Baptiste flanqué d’un agneau. Si ce dernier évoque « naturellement » l’agnus dei, Zubrzycki ne donne en revanche aucune explication plausible de la représentation du saint en enfant (est-elle spécifique au Canada français?). La représentation est d’autant plus curieuse que c’est bien à l’âge adulte que Jean baptise le Christ et reconnaît en lui le messie. Mais passons. Véritable fait social total, dirait Mauss, la parade de la Saint-Jean met en scène des icônes de l’idéologie dominante en donnant vie à ses principaux segments narratifs. Le chapitre le plus passionnant du livre est d’ailleurs celui qui porte sur la « révolte esthétique » des années 1960 (« Iconoclastic Unmaking ») où la vision cléricale de la nation est bruyamment et brillamment contestée. La nouvelle génération de nationalistes juge en effet le récit catholique rétrograde, et la représentation de la nation en enfant, justement infantilisante. Dans la bouche de ces critiques, l’agneau que protège le petit Jean Baptiste devient un mouton, i.e. un animal qui symbolise non plus le sacrifice christique, mais plutôt la passivité et la soumission des Canadiens français face à leur exploitation économique et à leur minorisation politique au sein de la Confédération. Les contestataires attaquent la parade elle-même; des manifestants perturbent le défilé; une année, ils kidnappent même l’agneau! Dans le champ politique, le symbole du mouton sert explicitement de repoussoir à l’élaboration d’une nouvelle vision nationale faite de progrès, de développement économique et d’autonomie politique. Le Rassemblement pour l’indépendance du Québec (RIN) adopte, par exemple, comme logo officiel une représentation stylisée du bouc, le jugeant plus viril et plus combatif que le mouton. Dans leur tentative de répondre aux critiques et de sauver la personnification de la nation, l’Église catholique et la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal contribueront paradoxalement à sa désacralisation puis à son retrait définitif. Après une année de transition, où la parade a compté deux saint Jean Baptiste, l’un adulte …

Appendices