L’ouvrage collectif Le lieu du Nord : vers une cartographie des lieux du Nord comprend quinze textes traitant de la question de la représentation des lieux du Nord à travers divers médiums dont la littérature, le cinéma, la muséographie, la photographie et la cartographie toponymique. Dans la majorité des cas, les oeuvres étudiées par les auteurs qui y ont contribué font état d’expériences du Nord faites par des personnes du Sud, des personnes portant un regard extérieur sur les lieux (voir les textes de Bormb, Walecka-Garbalinska, Parsis-Barubé, Johnstone, Regimbald). Ces perceptions extérieures des lieux du Nord présentent des images dont certaines sont stéréotypées, romantiques ou déprimantes. Dans plusieurs des oeuvres étudiées, le Nord est présenté comme « le bout du monde », « une terre sans vie », « un environnement extrême, froid et vide ». Si les oeuvres littéraires et cinématographiques élaborées dans le Sud à propos de Nord portent souvent un regard dépréciatif sur ce dernier, il serait peut-être intéressant de connaître les productions artistiques réalisées par les gens du Nord eux-mêmes sur leurs propres expériences des lieux, ce qui permettrait certainement de mettre en valeur un contre-discours (Chartier, p. 2-5). C’est en partie ce à quoi aspirait Jette Rygaard dans son travail auprès de jeunes Groenlandais (Look at My Picture; Read My Text. Visual Anthropology in Practice and Theory in the North). Pendant son terrain de recherche dans le « Nord », Rygaard proposa à des jeunes de photographier leurs lieux de fréquentation quotidienne. L’idée de Rygaard était, bien entendu, d’appréhender les représentations de ces lieux à travers le regard de jeunes qui en sont originaires. Son analyse aurait mérité d’être un peu plus développée (peut-être grâce à une expérience plus soutenue au sein des communautés), mais il n’en demeure pas moins que la démarche proposée est intéressante et mériterait d’être répétée dans le futur. Inversement, il aurait pu être fascinant d’analyser les représentations du Sud au travers d’oeuvres créées par des personnes originaires du Nord. On arriverait peut-être alors à repenser le Sud en fonction des perceptions extérieures. Par exemple, Frédéric Laugrand (2013), anthropologue travaillant avec les Inuit depuis plusieurs années, mentionne que dans certaines représentations des Inuit, la vie sédentaire et la chaleur, qui caractérisent les lieux du Sud, sont associées à un excès. Pour reprendre les termes de Laugrand (2013, p. 4), « [chez les Inuit] la chaleur a mauvaise réputation. Elle est associée à la faiblesse, à un dérèglement ». Dans une conférence intitulée « Les Inuit ne trouvent pas cela extrême », la linguiste et ethnologue Michèle Therrien (2012) va dans le même sens et explique que les Inuit aiment le froid, la chaleur étant plutôt propice aux maladies. Ici on obtient des visions renversées où le Sud « chaud » pourrait également être représenté comme « extrême » par les gens du Nord. Cette démarche visant à comparer les représentations et les différentes expériences des lieux nous amène à réfléchir au concept même de « lieu » (place en anglais). Suivant une approche phénoménologique, Feld et Basso (1996) s’intéressent aux sens du lieu à partir des modes relationnels et expérientiels, de la manière dont les lieux sont occupés, connus, appréhendés, imaginés, vécus et contestés. D’autre part, ces auteurs définissent les lieux à partir des multiples façons dont ils sont métonymiquement et métaphoriquement liés aux identités culturelles (idem, p. 11). C’est un peu en ce sens que les auteurs de l’ouvrage recensé abordent le concept de lieu, s’intéressant d’abord aux aspects discursifs et symboliques des lieux – aux mémoires, oublis et utopies associés aux lieux du Nord au travers …
Appendices
Bibliographie
- Blanc, Nathalie, Thomas Pughe et Denis Chartier, 2008 « Littérature et écologie : vers une écopoétique », Écologie et politique, 36 : 15-28.
- Clammer, John, 2004 « The Politics of Animism », dans : John Clammer, Sylvie Poirier et Eric Schwimmer (dir.), Figured Worlds : Ontological Obstacles in Intercultural Relations, Toronto, University of Toronto Press, p. 83-109.
- Deleuze, Gilles et Félix Guattari, 1980 [1997] Capitalisme et schizophrénie 2 : Milles plateaux, Paris, Les Éditions de minuit.
- Dussart, Françoise et Sylvie Poirier (dir.), 2017 Entangled Territorialities: Negotiating Indigenous Lands in Australia and Canada, Toronto, University of Toronto Press.
- Éthier, Benoit et Sylvie Poirier, à paraître « Territorialité et territoires de chasse familiaux chez les Nehirowisiwok dans le contexte contemporain », Anthropologica, numéro spécial sur les territoires de chasse familiaux algonquiens, sous la direction de M. Chaplier et C. Scott.
- Feld, Steven et Keith Basso (dir.), 1996 Senses of Place, Santa Fe, School of American Research Press.
- Laugrand, Frédéric, 2013 « Les Inuit face aux changements climatiques et environnementaux : La résurgence de chocs cosmopolitiques? », Communication [en ligne], 31, 2, mis en ligne le 18 septembre 2013. [http://communication.revues.org/4458], consulté le 29 septembre 2016. (DOI : 10.4000/communication.4458)
- Therrien, Michèle, 2012 « Les Inuit ne trouvent pas cela extrême », Conférence présentée à l’Université de tous les savoirs. [http://www.canal-u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/les_Inuit_ne_trouvent_pas_ca_extreme_michele_therrien.1518], consulté le 29 septembre 2016.
- Thom, Brian, 2005 Coast Salish Senses of Place: Dwelling, Meaning, Power, Property and Territory in the Coast Salish World. Ph.D. Thesis, Montréal, Department of Anthropology, McGill University.
- Thom, Brian, 2009 « The Paradox of Boundaries in Coast Salish Territories », Cultural Geographies, 16 : 179-205.