Il faut un bon moral pour passer à travers les ouvrages de Jacques Beauchemin et de Serge Cantin. On trouve dans ces livres un tel excès de désespérance, d’inquiétude, d’angoisse, de défaitisme et de mélancolie que l’on se demande pourquoi vivre au Québec et, surtout, pourquoi y chercher bonheur. Obnubilés par une culture qu’ils considèrent toujours en état de survivance, les deux auteurs, que l’on peut certainement situer dans la mouvance du nationalisme conservateur, lancent un cri du coeur pour en quelque sorte réveiller cette culture à elle-même, engourdie qu’elle est, selon eux, dans le déni de sa fragilité, l’inconscience de sa désorientation et le refus de son accomplissement historique. À mon sens, la principale qualité des deux ouvrages est d’être magistralement écrits. Il faut les lire moins pour découvrir de nouvelles analyses ou perspectives sur la condition québécoise que pour constater l’état de désarroi dans lequel se trouve une certaine pensée sur le Québec, prise dans ses ruminations et lamentations sur le destin inachevé d’une nation, d’une part, et incapable de saisir les processus d’actualisation d’une culture et de régénération d’une société, d’autre part. Si l’on pouvait attendre un tel bilan de ma part, je ne le fais pas joyeusement. J’ai du respect pour Cantin et de l’amitié pour Beauchemin. Il s’agit de penseurs puissants et influents, le premier à l’intérieur de cercles restreints, le second beaucoup plus largement, y compris auprès des décideurs. La thèse que portent ces deux auteurs à la suite d’autres tribuns ancrés dans le même pessimisme métaphysique (Aquin, Dumont, Bouthillette et Jacques, parmi les plus éloquents) est toutefois devenue préjudiciable à l’avancement des choses au Québec. Il y a ici trop de penseurs qui s’épuisent à ressasser les mêmes ritournelles interprétatives – sorte de sermons dédiés à des ouailles en perte de foi, devenues infidèles à la cause ou déboussolées par le brillant de la contemporanéité – alors que le défi posé par la société québécoise à ses interprétants, notamment s’ils proviennent du milieu universitaire, est d’être prise comme elle est plutôt que comme elle devrait être ou comme elle aurait dû être. Aux deux collègues, on aurait envie de dire qu’un peu plus de terrain et un peu moins de supputations feraient du bien. Est-il vrai, comme l’affirme Beauchemin, que nous sommes en train d’oublier à quel point le passé nous fut hostile; que nous avons démissionné devant le devoir de nous accomplir historiquement; que nous nous complaisons dans une vision réconfortante de notre existence collective; que la démocratie des droits individuels contredit nos aspirations communes; que le doute concernant la légitimité de notre désir d’émancipation ronge notre volonté de le réaliser; que nos incertitudes et nos hésitations nous écrasent au même titre que notre mauvaise conscience et notre désengagement; et que, renonçant au destin lumineux qui aurait pu être le nôtre, nous arrivons probablement au bout de notre parcours historique, contents dans notre confort et suffisants dans notre indifférence? Cantin n’est pas plus gai qui affirme que la communauté québécoise, celle d’héritage et de témoignage canadien-français, bien sûr, est en état de survivance depuis plus de 250 ans; que, distraite par les mirages de ses réussites récentes, elle semble désormais incapable de conquérir sa liberté, voire oublieuse de son devoir de le faire; que, honteuse de ce qu’elle est en vertu de ce qu’elle a été, elle est devenue insensible à son sort historique et à sa responsabilité politique, c’est-à-dire à son avenir; et que, lassés d’être tristes à propos de leur culture, les interprétants de cette communauté se sont désolidarisés de l’aventure collective en ne portant plus la conscience malheureuse de …
Appendices
Bibliographie
- Beauchemin, Jacques et Nadia Fahmy-Eid, 2014 Le Sens de l’histoire. Pour une réforme du programme d’histoire et éducation de 3e et 4e secondaire, Québec, ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.
- Bédard, Éric, 2015 L’histoire du Québec pour les Nuls, (éd. augmentée) Paris, First.
- Bouchard, Gérard et Charles Taylor, 2008 Fonder l’avenir. Le temps de la conciliation, Québec, Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles.
- Cantin, Serge, 1997 Ce pays comme un enfant, Montréal, L’Hexagone.
- Caron, Jean-François, 2016 Être fédéraliste au Québec. Comprendre les raisons de l’attachement des Québécois au Canada, Québec, Les Presses de l’Université Laval.
- Jewsiewicki, Bogumil et Jocelyn Létourneau (dir.) avec la collab. d’Irène Herrmann, 1998 Les Jeunes à l’ère de la mondialisation : quête identitaire et conscience historique, Sillery, Septentrion.
- Létourneau, Jocelyn, 2000 Passer à l’avenir. Histoire, mémoire, identité dans le Québec d’aujourd’hui, Montréal, Boréal.
- Létourneau, Jocelyn, 2006 Que veulent vraiment les Québécois? Regards sur l’intention nationale au Québec (français) d’hier à aujourd’hui, Montréal, Boréal.
- Létourneau, Jocelyn, 2010 Le Québec entre son passé et ses passages, Montréal, Fides.
- Létourneau, Jocelyn, 2013 « Le Québec : la révolution silencieuse », Quebec Studies, 56 (hiver) : 97-111.
- Létourneau, Jocelyn, 2014 Je me souviens? Le passé du Québec dans la conscience de sa jeunesse, Montréal, Fides.
- St-Laurent, Nathalie et al., 2008 Le français et les jeunes, Québec, Conseil supérieur de la langue française.