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Dans ce livre, des enseignantes et la directrice de l’école primaire publique alternative Nouvelle-Querbes, située dans le quartier Outremont à Montréal, présentent les principes et les pratiques pédagogiques de ce projet scolaire expérimental vieux de plus d’un demi-siècle. Comme le souligne le philosophe Georges Leroux en préface, cette école vise « à réaliser cet idéal de formation à l’autonomie » et d’acquisition de la liberté, par une pédagogie qui conduit à un « accès authentique à la connaissance et à la culture » (p. 10-11). Pour les auteures-enseignantes, le portrait de leur école aide à comprendre plus largement l’éducation alternative. Inspirée de Célestin Freinet au début, cette « école de recherche », invitant des universitaires et formant des stagiaires, se veut à l’avant-garde de la philosophie éducative provinciale développée dans le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) et fondée sur le développement de compétences.

Le premier chapitre fait l’historique de ses expérimentations depuis sa fondation en 1944, alors que l’école, déjà avant-gardiste, accueillait des enfants en maternelle. Il rend aussi compte du rôle que les parents ont eu lors de sa conversion en école alternative dans les années 1960, et dans la suite d’un parcours marqué par l’alternance entre renouvellement de projets, « crises » et redéfinitions les impliquant, par exemple autour des classes multi-âges et de la place des projets des enfants.

Les six chapitres suivants sont regroupés dans une première partie qui expose les Principes de la pédagogie du projet en décrivant concrètement les manières dont ils sont appliqués : la place centrale accordée à l’enfant, l’acquisition de compétences et de connaissances, la culture de l’établissement, produite de l’intérieur, les modes d’évaluation, la différenciation selon les rythmes particuliers à chaque enfant, et les regroupements multi-âge en deux cycles, excluant la maternelle, préconisant la coopération entre élèves et limitant la comparaison compétitive. La seconde partie de l’ouvrage décline les rôles et responsabilités des membres de la communauté qui participent à la mise en oeuvre de la « vision commune de l’éducation » (p. 23) propre à cette école.

Le livre, dans ses deux parties, explique les pratiques concrètes découlant des principes pédagogiques de l’école, par exemple les carnets de projets individuels, les échéanciers, la routine quotidienne, les rassemblements, etc. Il explicite ainsi les conditions dans lesquelles une pédagogie alternative semble encourager le « développement global de l’enfant », tout en se conformant au programme du ministère de l’Éducation du Québec. L’activité autonome de l’enfant et son développement, s’ils obéissent partiellement à ses propres intérêts et capacités à s’organiser et à se motiver, s’inscrivent dans un espace-temps culturel très encadrant, dans lequel les adultes (enseignant-e-s, éducateurs-trices, parents) exercent un suivi à la fois actif et instructif, notamment lors d’ateliers dirigés ou d’enseignement en petits groupes, dans une attitude prescrite de confiance et d’ouverture, mais aussi d’incitation à l’autonomie, intellectuellement exigeante. «[ L]’implication obligatoire » du parent (p. 199) et la valorisation de ses propres connaissances et savoir-faire auprès de tous les enfants semblent d’ailleurs compenser d’éventuelles inégalités culturelles entre ceux-ci. Comme dans les pédagogies alternatives en général, une attention particulière est portée à la disposition des lieux et du matériel et aux valeurs guidant l’attitude des adultes et des enfants, afin de stimuler et de maintenir en éveil curiosité, initiative, débrouillardise, créativité, voire efficacité des enfants. Bien que cette école montre une ouverture au dialogue, les parents et les membres du personnel doivent « adhérer complètement au projet éducatif de l’école » (p. 201). Notons enfin, comme le démontre le portrait sociodémographique des parents esquissé en fin d’ouvrage, que cette école est située dans un milieu sans doute propice à sa réussite.

Fières de ce projet ayant traversé les réformes du système scolaire québécois, les auteures expriment clairement les effets qu’il vise chez l’enfant, en particulier l’autonomie et la responsabilisation dans son propre cheminement d’apprentissage. Mais elles les affirment plus qu’elles ne démontrent de résultats observables. Davantage d’exemples concrets, détaillant des effets constatés, ou exposant des résultats d’évaluation comparée de cette pédagogie, aurait permis de participer plus directement au débat mettant en question l’ampleur de la place faite aux pédagogies actives dans les écoles en raison de leurs effets, discutables selon des chercheurs, sur le développement cognitif et socio-affectif de l’enfant (Bissonnette, Richard et Gauthier, 2006).

Bien que ce livre ne permette pas d’évaluer rigoureusement l’efficacité pédagogique de l’École Nouvelle-Querbes, il rend compte d’une longue expérience de concertation, de coéducation, de consultation, de réflexion en commun et d’expérimentation, parfois houleuse de l’aveu des auteures, mais assumée et appréciée comme enrichissante pour les co-éducateurs, incluant les enfants. Il offre surtout un portrait très instructif de ce que peut être une école alternative dans son esprit, son organisation et ses pratiques, tout en laissant entrevoir certaines difficultés de sa réalisation. Ainsi cet ouvrage peut certainement alimenter la réflexion sur les différentes formes de pédagogie.