Comptes rendus

Patrick Imbert, Comparer le Canada et les Amériques, des racines aux réseaux transculturels, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2014, 290 p.[Record]

  • Michel Lacroix

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  • Michel Lacroix
    Département d’études littéraires, Université du Québec à Montréal
    lacroix.michel@uqam.ca

Un chercheur dont on annonce qu’il a publié plus de 30 livres et de 300 articles est en quelque sorte estimé qualitativement excellent du fait même de cette remarquable productivité. C’est ainsi, en grande partie, que fonctionne l’économie du prestige, y compris dans les jurys attribuant les subventions, comme l’a bien montré James English. Mais si on lisait, si on lisait vraiment ce nouveau livre, comme une toute première publication? Je n’ai guère eu de mal à le faire, en ce qui concerne Comparer le Canada et les Amériques, puisque je n’avais encore jamais eu à traverser page à page un ouvrage de Patrick Imbert. L’expérience fut éprouvante, sur plusieurs plans. Cela tient en partie à la contradiction entre la défense d’une pensée de la complexité, contre les paradigmes dichotomiques, et le caractère extrêmement réducteur du récit sous-jacent, celui du passage d’une modernité binaire, essentialiste, nationaliste et ethnocentriste (cumulez ici les termes péjoratifs) aux identités polyculturelles, plurielles et ouvertes au « caméléonage » propres aux Amériques contemporaines. On serait porté à saluer cet attachement si marqué à la célébration de la postmodernité, quarante ans après ses premières expressions, si cela ne menait à une absence de complexité, à une rigidification des affirmations, assénées comme aux beaux jours des joutes théoriques sans merci. Ainsi voit-on Imbert, dans son incipit, vouer aux gémonies la discipline historique au grand complet, pour mieux cerner ce qu’il n’entend surtout pas faire : « Comment comparer les Amériques selon des perspectives culturelles? Certes pas en s’insérant dans un discours historique qui a toujours eu tendance à ne retenir que des différences. En effet, tout discours historique est contrôlé par l’allégeance à l’État-nation ». Diable! Cette condamnation sans appel d’une discipline au grand complet ne serait-elle pas un tantinet généralisante et essentialisante? De même, les récurrentes célébrations du Canada comme « État plurinational et pluriethnique », suprême incarnation d’un vivre-ensemble postmoderne, modèle devant guider les autres cultures américaines dans leur devenir transculturel, ne paraissent-elles pas une forme « d’allégeance à l’État », bien que plurinational? Loin d’être des aspects secondaires de la démarche d’Imbert, ces tensions et les déclarations idéologico-théoriques qui les manifestent sont récurrentes, tout au long de son ouvrage, et transforment l’analyste en dogmatique énonciateur, au détriment du fin lecteur qu’il peut être, transformation se manifestant entre autres dans les notes de bas de page. Emporté dans sa défense du multiculturalisme, il déclare par exemple, « Selon nous, il n’y a jamais eu de multiculturalisme en Allemagne », avant de se lancer dans une critique à l’emporte-pièce de l’Europe, où on ne penserait pas l’immigration dans la visée d’une intégration véritable, comme au Canada : « Voilà qui n’est pas le cas de l’Europe où les deux guerres mondiales, la Shoah et les récentes guerres dans l’ex-Yougoslavie n’ont pas démontré une grande capacité à reconnaître la différence »! Analysant, plus loin, le rapport à la temporalité dans les discours sur la nation, il tient à ajouter à ses remarques sur la Terre paternelle de Patrice Lacombe (1846), une note sur les discours prononcés aux funérailles d’un candidat du Bloc québécois en 1998. Dans un ouvrage resserré sur une logique argumentative forte, ces apartés attireraient sans doute moins l’attention, mais ici ils sont symptomatiques d’un émiettement structural et le résultat d’une méthode du rapprochement intempestif. Le morcellement est visible dès la table des matières : les chapitres sont subdivisés en de nombreuses sous-unités discontinues de quelques pages à peine, tantôt en fonction de thèmes, tantôt en fonction de considérations théoriques : le chapitre 2, intitulé « Échapper aux récits légitimant l’exclusion », rassemble ainsi, entre …