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Cette collection d’essais est le fruit d’un travail en tous points original et directement intelligible pour le lecteur. Dirigée par trois auteurs réputés, elle réunit une liste de contributeurs qui compte certains des universitaires les plus compétents en matière de religion des deux côtés de l’Atlantique. L’ouvrage consiste en une introduction et dix-huit chapitres portant sur une grande variété de sujets. Les auteurs se concentrent sur l’Église catholique romaine au Québec et en France, et sur la « reconfiguration » religieuse au travers de laquelle cette foi croît, disparaît et se reconstitue à travers le temps en deux lieux qui, bien qu’indéniablement marqués par l’histoire du catholicisme, ont longtemps été considérés bien en-deça de la voie de la sécularisation totale. Certaines sections sont explicitement comparatives dans leur approche, tandis que d’autres se focalisent sur l’une ou l’autre des sociétés. Ces études indépendantes sont cependant présentées de telle sorte que le lecteur attentif puisse conduire sa propre comparaison entre ces deux systèmes francophones de la pratique et de la foi catholiques, en Europe et en Amérique du Nord.
Résumer le contenu d’une si riche palette d’articles en un bref compte rendu s’avère particulièrement difficile. C’est pourquoi je mettrai plutôt l’accent sur certaines analyses et conclusions qui semblent les plus essentielles. Pour commencer, É.-Martin Meunier, l’un des directeurs de l’ouvrage, se livre à une minutieuse analyse, étayée par des éléments historiques, de la notion d’« exculturation » religieuse. Dans l’emploi initial qu’en a fait la sociologue Danièle Hervieu-Léger, ce terme renvoie à la manière dont la religion s’est détachée des autres éléments de culture, les faisant devenir encore plus séculiers, et limitant la portée de l’influence résiduelle de la religion (p. 23-24). S’appropriant les meilleures idées et données d’une littérature de plus en plus abondante sur ce sujet, Meunier explique qu’une telle vision pourrait être fragilisée. Sans pour autant abandonner entièrement la religion, le Québec a conservé au catholicisme sa position culturellement privilégiée. Certes, il y a « à la fois des signes de persistance et des signes de déclin progressif » (p. 33); pourtant, pendant tout ce temps « un catholicisme culturel » est resté en suspens (p. 34-35). Les résultats d’une recherche par sondage au Québec « nous fournissent un portrait plutôt bigarré », note Meunier, « suggérant tantôt une certaine permanence de la religion culturelle, tantôt une exculturation de plus en plus prononcée » (p. 36).
Du côté français, Yvon Tranvouez montre que les catholiques pratiquants sont proportionnellement moins nombreux qu’au Québec (p. 46-47). Ses analyses statistiques rigoureuses fondées sur des sondages, son interprétation des enquêtes et sa lecture de la presse journalistique confortent toutes l’idée d’un mécontentement vis-à-vis de l’institution de l’Église en France. Jacques Palard étudie de près les rapports de l’Église et de l’État dans l’école française, en analysant la situation de plus de huit mille écoles catholiques du pays, soit approximativement deux millions d’élèves, ce qui représente environ un huitième de l’effectif total de l’école primaire nationale et un cinquième de l’effectif du niveau secondaire (p. 249). Palard examine en détail la politique complexe du système éducatif en France, où l’administration de ces institutions est considérée comme privée, mais dont l’enseignement qu’elles dispensent relève d’une fonction publique, qui oblige à « donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience » (p. 253).
Jean-François Laniel nous offre un survol judicieux, bien intégré et très éclairant de plusieurs significations et implications du concept de « religion culturelle » en Europe et en Amérique du Nord. Solange Lefebvre, aussi co-directrice de l’ouvrage, s’intéresse au même thème, dans une analyse pertinente de la « culturalisation » de la religion, un processus qui s’avère être bien plus que ce qui, au Québec et en France, est appelé « patrimonialisation », c’est-à-dire la préservation des églises et autres sites de dévotion comme monuments d’un passé, dans certains cas, à la fois éloigné et définitivement mort (p. 70-71). Elle souligne plutôt l’aspect visible de la religion, encore perceptible dans le calendrier et les noms de lieux; sa présence dans les mouvements politiques actuels; son rôle central dans des moments de crise collective; sa portée dans la loi et les décisions judiciaires; et même, son utilité comme thérapie personnelle (p. 74-78).
Pour sa part, l’historien des religions Michael Gauvreau s’efforce d’instaurer un nouveau type de perspective dans son champ de recherche (p. 193-194). Plus précisément, il avance qu’il est temps de délaisser la théorie de la sécularisation, trop abstraite, pour une vision des institutions religieuses qui mette leur caractère concret et actif mieux en relief que les récits historiques précédents. De manière plus générale, Gauvreau soutient que les organismes religieux « font plutôt figure d’éléments dynamiques dans l’élaboration d’une modernité occidentale » (p. 192). Au sein même de l’église catholique, Paul-André Turcotte examine les actions des prêtres missionnaires de France – avec un accent sur la Société de Saint-Viateur – qui ont encouragé la modernité au 19e siècle au Québec.
À l’instar de l’étude de Tranvouez, plusieurs essais analysent les nouvelles formes institutionnelles de l’Église catholique. Robert Mager et Sophie Tremblay évaluent ainsi le statut de centaines d’« agents pastoraux » laïcs au Québec – catholiques n’ayant pas reçu l’ordination (principalement des femmes) qui ne sont ni du clergé diocésain ni membres des ordres religieux, mais qui servent tout de même l’Église dans des fonctions cruciales, comme l’enseignement du catéchisme et la provision de soins médicaux (p. 340). Ni prêtres, ni diacres, ils sont catégoriquement exclus des plus importants rôles pastoraux. Tout en étant profondément attachés à la vie quotidienne des catholiques québécois, ces agents pastoraux se situent en dehors des structures d’autorité et de pouvoir (p. 337), et leur mission s’en trouve limitée. Leur position ambiguë (figée dans ce que les auteurs [p. 322] appellent « cette zone d’ombre et de silence » ) et les conflits de rôles que génèrent les heurts prévisibles entre cette position et le cléricalisme, à quoi s’ajoute le sexisme, impliquent que les agents pastoraux ne sont pas toujours appréciés, souvent négligés, et fréquemment incompris (p. 341-346).
Une comparaison implicite traverse le chapitre de Yohann Abiven et Philippe Portier sur les diacres permanents en France, mais aussi sur les laïcs en mission ecclésiale au sein de l’Église française. Plus de 90 % de ces postes (p. 381) sont tenus par des femmes (le plus souvent des épouses et des mères), qui occupent ainsi « une place discrète mais indispensable » (p. 380). Néanmoins, étant exclues des rôles ministériels formels (p. 388-391), ces femmes font face aux mêmes défis que les « agents pastoraux » au Québec. Dans l’étude d’Éric LeBrun sur les aumôniers dans les institutions médicales du Québec, dont beaucoup étaient autrefois des prêtres catholiques mais qui sont désormais des femmes laïques (p. 412-415), on distingue les prémices de ce que les administrateurs des hôpitaux ont récemment nommé les « intervenants en soins spirituels » (p. 410) et celles d’un « nouveau modèle non confessionnel mais ouvert à la religion » (p. 401).
Le lecteur découvrira beaucoup plus encore au fil des chapitres de cette collection de qualité, dont ce compte rendu ne sert que de mise en bouche. Enfin, le livre contient non seulement des notes de bas de page élaborées à chaque chapitre, mais aussi une bibliographie complète des sources publiées en anglais et en français et couvrant les deux sociétés abordées.