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Oeuvre remarquable au titre évocateur, Puissance Nord : Territoire, identité et culture de l’hydroélectricité au Québec (version française de Power from the North. Territory, Identity, and the Culture of Hydroelectricity in Quebec, UBC Press, 2013) se penche sur l’émergence et l’évolution de l’identité culturelle des Québécois dans le contexte du chantier hydroélectrique de la baie James des années 70 et 80. De manière habile, la géographe Caroline Desbiens scrute ce grand projet de développement économique sous la loupe de la culture en analysant minutieusement les pratiques, les représentations et les discours des principaux acteurs concernés, dont le gouvernement et les autres décideurs, les travailleurs, la société civile, les Autochtones. L’ouvrage témoigne, à l’aide de citations colorées et de figures, de l’expérience et de la portée du discours de ces acteurs impliqués de près ou de loin dans le projet, in situ ou non. L’auteure offre un portrait éclairé de la place tacite des Autochtones, tant dans l’élaboration que dans la mise en oeuvre ou encore dans les discours et les écrits émanant de ce mégaprojet qui a façonné le Québec moderne. Sous l’angle de la géographie culturelle et historique et de la littérature, Puissance Nord explore la relation entre territoire et identité, entre économie et culture, entre Québec du Nord et du Sud, entre autochtones et allochtones, entre nature, Nord et nation. Il propose une analyse originale et approfondie des paysages culturels et matériels de la Baie James.

C’est sa formation académique en littérature et en géographie ainsi que ses expériences en milieux autochtone et nordique qui permettent à Caroline Desbiens de développer une lecture novatrice de la culture de l’hydroélectricité au Québec. Fruit de sa thèse de doctorat, Puissance Nord est un ouvrage de synthèse historique qui propulse le lecteur au coeur des débats actuels façonnant les développements que connaît le Québec du Nord. Le livre s’articule autour de trois parties et de sept chapitres équilibrés, précédés d’une préface de Graeme Wynn. Il est agrémenté de récits personnels de l’auteure qui offrent un suivi autobiographique complémentaire et intime donnant vie à cette recherche d’envergure.

La première partie s’attache à décrire le contexte historique, politique, économique et culturel de la baie James ou Eeyou Istchee. D’un côté, l’auteure illustre le caractère grandiose du projet et sa portée pour le Québec allochtone. De l’autre, elle relate qu’il a permis aux Eeyouch et aux Inuits (et ultérieurement aux Naskapis) de sensibiliser le grand public à leur présence sur ces territoires ancestraux menacés par l’exploitation des ressources naturelles. Il s’ensuivit une complète reconfiguration de la structure administrative et politique du Nord du Québec, avec notamment la signature de la Convention de la Baie James et du Nord québécois (CBJNQ).

Dans la deuxième partie, Desbiens trace les contours de la culture et de l’identité québécoises en se penchant sur l’histoire coloniale du Québec et l’émergence d’une nation. Elle dresse un parallèle entre les significations symboliques représentées dans les romans de la terre et le développement des ressources nordiques. Ce détour historique par le truchement de cinq oeuvres de la littérature québécoise démontre combien la nature et le territoire représentent le fondement de l’identité québécoise.

La troisième partie s’intéresse à l’expérience des acteurs du terrain (les pionniers et les travailleurs) qui ont participé à la concrétisation du projet de la rivière La Grande et qui ont produit des savoirs au sujet de la baie James, influençant par conséquent les représentations véhiculées aux « spectateurs » de l’extérieur. C’est dans cette partie que le lecteur est plongé au coeur de la vie quotidienne des travailleurs de chantier ainsi que de l’expérience des spectateurs des années 70 et 80, mais aussi d’aujourd’hui (c.-à-d. les touristes). Comme ailleurs dans l’ouvrage, l’auteure relate combien cette « réécriture » d’Eeyou Istchee, tout comme la montée de l’« homo hydroquebecensis », a fait fi des territorialités du peuple cri.

En conclusion, elle propose des pistes de réflexion à l’égard des développements contemporains du Québec du Nord tout en exposant les limites des approches antérieures et actuelles. Les solutions qu’elle propose mettent l’accent sur le rôle central de la culture dans les développements économiques et dans le processus de « nordification » du Sud (p. 285).

En somme, il s’agit d’un ouvrage de qualité qui fait preuve d’une grande rigueur scientifique tout en restant accessible au grand public. Il s’adresse à la communauté scientifique, aux penseurs et décideurs des développements nordiques, et à la société civile. Tant dans sa version française qu’anglaise, il captive le lecteur grâce à l’art du récit de l’auteur. La traduction de l’anglais vers le français réalisée par Geneviève Deschamps est impeccable. Enfin, Puissance Nord permet de mieux saisir les contours géographiques et culturels de cette identité nordique qui habite tant les Québécois, tout en restant sensible aux territorialités autochtones encore trop méconnues et incomprises.