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« Il n’y a de textes classiques que par la lecture », affirmait Robert Melançon dans un ouvrage consacré à définir ce qu’il convient d’appeler un classique. En effet, un classique qui cesse d’être lu, ou pire, qui n’est lu que par les érudits, n’en est pas un. Force est de constater qu’au Québec, l’héritage des classiques semble en déshérence. Ce constat accablant nous force à poser la question suivante : le poids de la tradition, comme celui des nombreuses lectures de ces oeuvres, serait-il trop lourd à porter? Douterait-on de leur beauté ou de leur capacité à nous émerveiller aujourd’hui? Notre ouverture au reste du monde nous conduirait-elle à croire, à tort, que nous savons qui nous sommes?
Sylvain Campeau et Patrick Moreau, les directeurs de cet ouvrage collectif, expliquent cet « effacement du patrimoine littéraire québécois » (p. 7) par le fait que les classiques sont peu connus du grand public, mais surtout par celui qu’ils sont trop peu souvent enseignés et lus dans nos institutions scolaires. Ils mettent le doigt sur une cassure, celle de la méconnaissance des grandes oeuvres d’un patrimoine littéraire que la dernière réforme au collégial a gravement fragilisé, voire sacrifié. Loin de blâmer les professeurs, dont ils reconnaissent le rôle important dans la transmission d’un héritage littéraire national, ils déplorent plutôt l’absence de balises pour orienter la lecture d’oeuvres qui devraient être obligatoires pour les jeunes étudiants, ces derniers pouvant, malheureusement, passer du secondaire à l’université sans jamais avoir lu un seul classique de la littérature québécoise.
Cet ouvrage se veut donc « un premier pas pour pallier ce manque déplorable » (p. 9) et donner un peu de cohérence à l’enseignement de la littérature au Québec. Quinze oeuvres littéraires – du roman à la poésie en passant par l’essai et le théâtre – sont proposées dans le but de fournir aux enseignants et au public en général un programme pour (re)découvrir notre héritage et notre ancrage dans notre littérature. Cette liste, élaborée par le professeur Michel Biron – qui rappelle à juste titre la fragilité des classiques et les précautions qu’une telle désignation impose – rassemble des oeuvres qui font l’unanimité : Nelligan, Guèvremont, Roy, Tremblay, Miron, etc. Grâce à l’apport de divers spécialistes de la littérature québécoise, l’ouvrage illustre « la richesse intrinsèque, mais aussi l’aspect significatif [de chaque oeuvre] pour l’évolution de la littérature québécoise » (p. 11). Chaque essai montre l’enracinement des classiques dans une culture bien vivante et les voies nouvelles qu’ils continuent d’ouvrir pour notre imaginaire collectif.
Les différents textes se répondent sur la nécessité de la lecture pour réfléchir à la place qu’occupe l’identité. Que ce soit par la visée fondamentale d’explorer la construction d’une identité fragile traversant le recueil Regards et jeux dans l’espace, l’engagement de Miron et de Vadeboncoeur désignant différents passages vers le Québec moderne, ou l’esprit de liberté que revendique Gabrielle Roy, le propre des grandes oeuvres est de dessiner de nouveaux rapports au monde. Les leçons de style contenues dans les Contes de Ferron ou dans Le Torrent d’Anne Hébert et les pirouettes stylistiques dont est capable l’héroïne de Ducharme nous offrent, quant à elles, une langue pour affirmer notre singularité. Le désir d’aller vers l’autre et vers l’ailleurs, l’accès à l’universel qui libère l’écriture poétique de Grandbois ou la traversée de l’Amérique dans l’intertexte de Volkswagen Blues, ne nous tirent-ils pas vers l’étranger pour mieux nous révéler à nous-mêmes? Chacun des textes illustre comment les classiques littéraires nous devancent et n’ont bel et bien jamais fini de composer et de recomposer notre identité.
Quinze classiques de la littérature québécoise nous rappelle, puisqu’il est encore nécessaire de le faire, l’impératif de revenir aux classiques pour rétablir une tradition de la lecture au Québec, pour sauver ce que nous avons de plus beau, pour préserver notre humanité profonde et pour rejoindre l’universel. Cette publication fait état de l’urgence de se réapproprier un héritage, un enseignement et une histoire, et nous renvoie à ces chefs-d’oeuvre qui savent atteindre notre âme collective et qui, le temps de leur lecture, nous donnent le sentiment d’exister.