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L’ouvrage inclut des articles traitant du thème de la gouvernance communautaire. Il faut souligner la fraîcheur des propos des nombreux auteurs, qui délaissent le thème du misérabilisme comme caractéristique du développement des communautés francophones en milieu minoritaire, au profit de la capacité de ces communautés à agir politiquement. Au lieu d’être des victimes sans voix et sans moyens des projets étatiques de régulation et des pressions sociétales, celles-ci sont des acteurs sociaux capables d’influencer les projets étatiques et d’affronter les pressions sociétales. Par ailleurs, cette capacité d’influence comporte des limites, puisque les partis politiques, qui contrôlent la gouvernance étatique, déterminent les objectifs des politiques gouvernementales et leur mise en oeuvre. À ce sujet, dans leur chapitre portant sur la justice en Ontario, Linda Cardinal, Marie-Ève Levert, Danielle Manton et Sonia Ouellet soulignent que le dialogue avec le gouvernement de Mike Harris était beaucoup plus difficile pour les groupes francophones par comparaison avec le gouvernement de Dalton McGuinty qui lui a succédé.
Cet ouvrage comporte plusieurs qualités. D’abord, plusieurs contributions sortent des chantiers habituels de la recherche pour traiter de dossiers comme ceux de la foresterie, de l’immigration, de la justice et de la jeunesse, par exemple. Ensuite, certains auteurs, dont Mireille Paquet et Caroline Andrew, ont interviewé les acteurs des communautés francophones, ce qui vient enrichir l’analyse. Outre les études de cas, il faut souligner l’intelligence dont Cardinal et Forgues ont fait preuve en incluant des chapitres contextualisant l’émergence de la gouvernance communautaire. Le texte de Rémi Léger est fort utile à cet égard. Selon l’auteur, les changements constitutionnels de 1982, mais aussi la politique globale de désengagement de l’État fédéral, confrontent les communautés francophones au défi d’une participation plus importante dans la gestion de la mise en oeuvre des politiques gouvernementales. Si la Charte canadienne des droits et libertés permet aux groupes francophones en milieu minoritaire de gérer leurs écoles, non sans s’être battus longuement pour la reconnaissance de ce droit, le désengagement de l’État fédéral confronte les communautés au défi de la participation à la gestion. Enfin, les différentes études de cas fournissent un matériel de réflexion non seulement aux chercheurs s’intéressant à la gouvernance communautaire, mais aussi aux acteurs des milieux concernés.
Si dans le passé, de nombreuses études ont insisté sur la capacité limitée des acteurs sociaux à agir lorsqu’ils entraient en relation avec des composantes étatiques, qu’en est-il dans ce nouveau contexte? Les études de cas contenues dans cet ouvrage ne sont pas trop pessimistes sur cette question, mais il faut souhaiter que d’autres études soient réalisées. D’ailleurs, il serait utile de comparer les ressources financières consenties par l’État dans le cadre de la politique globale de désengagement avec celles auxquelles les communautés avaient accès entre 1969 et 1982.
On peut déplorer le fait que l’ouvrage ne concerne que l’Ontario et le Nouveau-Brunswick. Comme on le sait, ces communautés francophones ont été relativement bien étudiées et leur réseau institutionnel respectif est relativement solide. Qu’en est-il des autres communautés francophones ailleurs au Canada? Les auteurs ont raison de ne pas appliquer leurs observations et leurs conclusions à d’autres communautés francophones en milieu minoritaire dont l’évolution institutionnelle n’est pas aussi marquée. Il serait pourtant utile de multiplier ce type d’études pour vérifier si les observations sur ces deux communautés sont également valides ailleurs au pays. Après tout, les défis des communautés francophones, occasionnés par les nouvelles orientations de la politique fédérale dans le domaine du développement des communautés francophones, concernent l’ensemble de la francophonie. Bref, il est pertinent de démontrer la capacité des groupes francophones en milieu minoritaire « d’innover, de se repositionner et de poursuivre leur développement » (p. 3) en Ontario et au Nouveau-Brunswick, mais qu’en est-il de la francophonie du Yukon ou encore de celle de l’Île-du-Prince-Édouard? Malgré ces réserves, l’ouvrage devrait inspirer la poursuite de la recherche dans ce domaine.