Article body

Cette monographie montre comment les étapes de la création des écoles de syndics, malgré leur abandon en 1836, fondèrent au Québec l’école publique ainsi que la « démocratie scolaire ». On perçoit dans le regard large et approfondi que porte Jean-Pierre Proulx sur cet objet, à la fois dans les questions qu’il se pose et dans la diversité des sources fouillées, l’influence de ses engagements antérieurs dans le monde scolaire. Les contributions de Christian Dessureault et de Paul Aubin permettent de plus d’approfondir d’autres aspects de la démocratie scolaire : la composition sociale et l’élection locale des corps de syndics (Dessureault), et les aspirations pédagogiques guidant leurs écoles (Aubin).

Succédant à un fin portrait de la société bas-canadienne brossé par Dessureault, la première section analyse les projets de scolarisation étendue et de gouvernance locale portés par des « élites intermédiaires ». Des chapitres distincts examinent tour à tour : 1) les « mécanismes de la gouvernance » proposés dans les projets scolaires soumis par des députés de 1814 à 1827; 2) le parcours législatif des lois des écoles de syndics et des réactions à celles-ci (1829-1837); 3) l’idéologie libérale qui les fonde et l’idéologie conservatrice la rejoignant sur certains points; et 4) la part d’influences idéologiques et institutionnelles attribuable aux législations d’autres sociétés, en particulier celles de l’Écosse, des États-Unis et de la France.

Les éclairages de cette première section sur des aspects jusqu’alors peu explorés du projet des écoles de syndics sont multiples. Soulignons, entre autres, l’interprétation de la loi de 1829 comme aboutissement de quinze ans de réflexion politique consignés dans les projets de loi, dont celui de 1824 à l’origine des écoles de fabriques, et le tournant de 1827, accompli sous l’impulsion donnée dans la Chambre d’assemblée par le Dr Blanchet. À partir de ce moment, la Chambre opta pour le principe démocratique au niveau local et pour une laïcité intégrant les religieux. Mais l’aboutissement temporaire de 1829 marquait lui-même le début d’une expérimentation ouverte au perfectionnement jusqu’en 1836, au fil des obstacles, des réactions, des enquêtes et des remaniements législatifs qui se succédèrent.

La monographie présentée dans la deuxième section atteint l’objectif qu’elle se fixe de clarifier différents aspects de la mise en place de l’école publique (emplacement des maisons d’école, recrutement, compétence et rémunération des instituteurs et institutrices, vie pédagogique) et de la démocratie scolaire (déroulement des élections scolaires, composition des corps de syndics, diversification des catégories impliquées dans la gouvernance locale, puis financement). Elle donne une vision globale et nuancée de cette réalisation ardue et contient des observations inédites. Par exemple, l’analyse de comptes rendus d’élections tenues dans des localités rurales de la région de Montréal entre 1829 et 1836 montre la variation des poids comparés des notables et des classes populaires dans les corps de syndics, ainsi que la diminution de leur sélectivité sociale après l’adoption de la loi de 1832 décentralisant l’élection de syndics des villages vers les rangs. La recension de journaux et de manuels pédagogiques bas-canadiens, bien que l’analyse du corpus puisse être poussée davantage, met en évidence une « sorte de révolution » de l’enseignement que manifeste une volonté évidente de modernisation pédagogique relativement indépendante de la vie économique et politique. Aussi, le Comité permanent d’éducation mis en place en 1831 se révéla très actif par ses enquêtes et projets de lois, ainsi que par sa volonté ferme de généraliser la scolarisation.

Convaincu de la détermination qui existe au Bas-Canada de fonder une instruction publique, Proulx fait aussi ressortir l’impasse idéologique, politique et financière dans laquelle se trouvait la Chambre d’assemblée jusqu’à la fin des écoles de syndics, et qui contribue à mieux faire apprécier la clairvoyance et les efforts de cette dernière. En guise d’épilogue, Proulx explore les tentatives pour maintenir actives les écoles après l’échec de 1836 – tant celles de la classe politique réaffirmant l’importance de l’éducation sans arriver à proposer des moyens concrets, que celles de communautés locales se mobilisant pour élire des syndics et se cotisant pour payer un instituteur ou une institutrice.

À première vue, l’objectif – atteint – de produire une monographie large et nuancée semble nuire en quelques endroits à une explicitation plus développée de constats généraux sur des thèmes particuliers, bien que les conclusions de chapitre y reviennent toujours. Toutefois, l’introduction annonce clairement l’articulation des objectifs de l’enquête, et la conclusion générale est le lieu où se déploie la thèse. Proulx y propose une relecture compréhensive des intentions de l’élite lettrée canadienne-française et resitue le Bas-Canada, société coloniale économique et politique particulière, dans son environnement international. Il rejette les thèses soutenant l’anticléricalisme de la loi de 1829, et montre la sincérité pédagogique et universaliste des projets d’écoles de syndics, qui étaient davantage que l’objet d’un combat pour le pouvoir entre la députation et le Conseil législatif et ne peuvent non plus être assimilés à une stratégie pour satisfaire les intérêts propres à la petite bourgeoisie canadienne-française. En somme, par l’originalité de la recherche et des analyses qu’il présente, ce livre est incontournable pour l’histoire de l’éducation au Québec.