Comptes rendus

Émilie Guilbeault-Cayer, La crise d’Oka. Au-delà des barricades, Québec, Septentrion, 2013, 200 p.[Record]

  • Daniel Salée

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L’été 1990 est à inscrire à n’en pas douter au registre des temps forts qui auront bouleversé et façonné la conscience collective québécoise et il n’est certes pas inutile de chercher encore aujourd’hui à en mieux saisir les tenants et aboutissants. C’est ce que tente Émilie Guilbeault-Cayer avec sa monographie, adaptée de son mémoire de maîtrise en histoire soutenu à l’Université Laval en 2008. À l’origine de sa démarche, une interrogation simple, mais incontournable, rarement formulée : dans quelle mesure la crise a-t-elle réellement changé les choses? Recensant dans le dernier chapitre du livre une série de mesures et d’actions mises de l’avant par les gouvernements qui se suivent à Québec entre 1990 et 2002, Guilbeault-Cayer montre combien, dans la foulée de la crise, l’État québécois apparaît désireux de ne plus revivre pareille situation en multipliant les initiatives visiblement conçues pour instaurer un meilleur équilibre socioéconomique entre les peuples autochtones et le reste de la population québécoise. Ententes de respect mutuel avec la plupart des Premières Nations, règlement de divers litiges fonciers, transfert de certains pouvoirs politico-administratifs à plusieurs conseils de bande, présentation en 1998 d’une politique-cadre (intitulée Partenariat, développement, actions) destinée à accroître la capacité économique des peuples autochtones et signature avec la nation crie en 2002 de la Paix des Braves constituent autant de gestes témoignant de la volonté étatique de modifier la donne et de traiter désormais avec les peuples autochtones d’égal à égal, voire de nation à nation. Toutefois, insiste Guilbeault-Cayer, il ne faut pas croire que les événements d’Oka aient été le déclencheur de cette mutation apparente. Le changement s’était amorcé plus tôt. À l’aube des années 1990, l’État québécois avait depuis quelque temps déjà progressivement adhéré à une vision plus ouverte et accommodante de ses rapports avec les peuples autochtones. Avec l’adoption par le Conseil des ministres en 1983 de principes établissant, entre autres, que ces derniers disposent du droit à l’autonomie gouvernementale, puis, en 1985, avec la reconnaissance par l’Assemblée nationale de l’existence des dix Premières Nations et du peuple inuit en tant que nations distinctes pouvant jouir des droits normalement associés à ce statut, il montre avoir rompu avec les pratiques du passé et ne plus considérer les peuples autochtones comme des entités négligeables dont on peut outrepasser les droits sans souci. Bien que l’État québécois ait été mû en cela par son désir de se démarquer du cadre constitutionnel canadien, d’alléger le contentieux juridique qui l’oppose à plusieurs groupes autochtones et de ne pas être en reste du mouvement international de prise de conscience du bien-fondé des revendications des peuples autochtones qui se déploie à l’époque, il ne les reconnaît pas moins, note Guilbeault-Cayer, comme des acteurs sociaux légitimes qu’il faut prendre au sérieux et avec qui il faut transiger respectueusement et de bonne foi. Du strict point de vue de la question qui anime son analyse, Émilie Guilbeault-Cayer n’a pas tort. Les événements d’Oka ont incité sans l’ombre d’un doute l’État québécois à faire preuve dans la suite des choses de plus de circonspection quant à ses relations avec les peuples autochtones, mais ils n’ont pas à proprement parler suscité l’attitude d’ouverture sur laquelle semble se décliner sa politique autochtone dans l’après-Oka puisque celle-ci avait pris naissance bien avant. Ce constat, en apparence juste lorsque l’on observe la situation par le petit bout de la lorgnette, n’est toutefois pas sans poser problème dès lors que l’on aspire à une saisie plus globale des choses. Pour Guilbeault-Cayer, si les débordements de l’été 1990 n’ont pu être évités malgré le capital de bonnes intentions que l’État québécois en était venu à …