Depuis que les Nations unies en ont fait une cible des objectifs du millénaire pour le développement, une panoplie d’acteurs s’affairent au quotidien à lutter contre la pauvreté dans le monde. L’ouvrage collectif « Initiatives locales et lutte contre la pauvreté et l’exclusion » présente les résultats d’une recherche réunissant une équipe de six chercheurs chevronnés autour d’une dizaine d’initiatives locales mobilisant les ressources de l’économie sociale dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale au Québec. Ce travail d’exploration des facteurs déterminants dans le succès de ces initiatives enrichit l’état actuel de la connaissance dominé par des études descriptives (Fréchetet al., 2011; Gelot, 2011; Bibi et Duclos, 2009), explicatives (Berthoudet al., 2009; Bruneteaux et Terrolle (dir.), 2010; Lefèvreet al., 2011; Paugam, 2005, Sen, 1981) ou évaluatives (Duflo, 2010; Ilcan et Lacey, 2011; Mogstad et Pronzato, 2008; Valletta, 2006). Les auteurs partent du constat que, malgré la mise en place de nombreux programmes de redistribution de la richesse au Québec, les inégalités entre les riches et les pauvres se maintiennent, s’intensifient et engendrent de profondes inégalités territoriales. Ils se demandent alors ce que peuvent l’économie sociale et l’action communautaire face aux processus de dévitalisation territoriale et d’exclusion sociale dérivés de la logique et des caractéristiques du capitalisme mondial. La question est capitale, car dans le contexte québécois, le développement par l’initiative locale a pris la forme d’un double mouvement territorialement ancré. D’abord, un mouvement rural de développement prônant l’intégration et le contrôle local des ressources. Ensuite, un mouvement urbain faisant du local une base pour des opérations à la fois de création d’entreprises et d’emplois, et de contestation citoyenne ou de défense des droits élémentaires. Le projet du livre est alors de déterminer dans quelles conditions l’économie sociale et l’action communautaire peuvent infléchir les processus qui mènent à l’appauvrissement et à l’exclusion. Reposant sur un corpus constitué de sources documentaires et d’entrevues semi-dirigées réalisées avec des intervenants (dirigeants, partenaires, participants), l’analyse emprunte une perspective territoriale, partenariale et globale. Elle prend en compte une diversité d’acteurs, de domaines et de dimensions, et ce, à différentes échelles d’intervention. L’argumentation se déploie en trois moments. Le premier a servi à poser les jalons conceptuels qui permettent de comprendre la cible des initiatives : la matrice d’une double fracture sociale et territoriale néfaste pour les individus et les collectivités locales. Ce parti pris théorique a conduit à formuler l’hypothèse suivant laquelle les initiatives locales peuvent « amorcer des processus durables d’amélioration des conditions de vie des collectivités locales » en même temps qu’elles contribueraient « à la construction d’une économie globale plurielle plus juste et plus équitable » (p. 27). Le deuxième moment de l’argumentation est consacré à l’étude, à Montréal, de cinq initiatives locales entreprises dans un contexte urbain où se côtoient riches et pauvres, majorité et minorités culturelles, des espaces bien ancrés dans la nouvelle économie (aéronautique, biotechnologie, multimédia, technologies de l’information, pharmaceutique…) et des espaces dévitalisés. L’enquête a révélé que ces initiatives locales se sont développées tantôt pour revitaliser des quartiers à l’aide de projets relatifs à l’habitat et à l’accès aux services, tantôt pour intégrer des immigrants à l’aide du bénévolat et de la culture, tantôt pour corriger des situations de précarité et de vulnérabilité de jeunes femmes monoparentales, etc. Elle a aussi montré que les projets qui ont connu du succès n’ont pas seulement eu pour effet d’améliorer les conditions matérielles des citoyens, ils leur ont aussi permis de recouvrer un sentiment d’appartenance, de créer des liens sociaux et d’affirmer leur …
Appendices
Bibliographie
- Berthoud, A., B. Langaigne et P. Mardellat (dir.), 2009 L’économie retrouvée. Figures et énigme de la pauvreté, France, Presses universitaires du Septentrion.
- Bibi, S. et J.-Y. Duclos, 2009 « La pauvreté au Québec et au Canada ». Cahier de recherche/Working Paper 09-22, Québec, CIRPEE, 53 p.
- Brunetaux, Patrick et Daniel Terrolle (dir.), 2010 L’arrière-cour de la mondialisation : Ethnographie des paupérisés, France, Éditions du Croquant.
- Duflo, Esther, 2010 Le développement humain. Lutter contre la pauvreté (I), Paris, Le Seuil/République des idées, 104 p.
- Fréchet, Guy, Danielle Gauvreau et Jean Poirier (dir.), 2011 Statistiques sociales, pauvreté et exclusion sociale, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal.
- Gelot, Didier, 2011 « Le tableau de bord de suivi de l’objectif de réduction de la pauvreté en France », dans : Guy Fréchet, Danielle Gauvreau et Jean Poirier (dir.), Statistiques sociales, pauvreté et exclusion sociale, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, p. 21-31.
- Ilcan, Suzan et Anita Lacey, 2011 Governing the Poor: Exercises of Poverty Reduction, Practices of Global Aid, Montréal, McGill-Queen’s University Press.
- Lefèvre, Sylvain, Gérard Boismenu et Pascale Dufour, 2011 La pauvreté : Quatre modèles sociaux en perspective, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal.
- Mogstad, Magne, Chiara Pronzato, 2008 « Are Lone Mothers Responsive to Policy Changes? The Effects of a Norwegian Workfare Reform on Earnings, Education, and Poverty », Discussion Papers 533, Statistics Norway, 32 p.
- Paugam, Serge, 2005 Les formes élémentaires de la pauvreté, Paris, Presses universitaire de France.
- Sen, Amartya Kumar, 1981 Poverty and Famines: An Essay on Entitlement and Deprivation, Oxford, Clarendon Press.
- Valletta, Robert, G., 2006 « The ins and outs of poverty in advanced economies: government policy and poverty dynamics in Canada, Germany, Great Britain, and the United States », Review of Income and Wealth, vol. 52, no 2, p. 261-284.