30 septembre 2005. Dans les pages du journal danois Jyllands Posten, paraît une série de 12 caricatures, intitulée « Les visages de Mahomet », qui va déchaîner les passions dans le monde musulman. Dans cet ouvrage, issu d’un mémoire de maîtrise en histoire légèrement remanié, Lélia Nevert revient non pas sur les caricatures elles-mêmes, comme on aurait pu s’y attendre, mais sur le traitement médiatique accordé à la crise qui s’ensuivit afin de mettre en lumière les représentations de la religion, et en particulier de l’islam, en vigueur dans les médias. Se restreignant au mois de février 2006, où la crise atteint « son apogée, en termes de diffusion d’informations » (p. 2), l’auteure privilégie une étude comparée entre la France et le Québec, où les journaux Libération et Le Devoir sont sollicités en tant qu’institution de leur société respective. Alors que Libération « favorise le débat sur la liberté d’expression comme principe fondamental d’une démocratie laïque », Le Devoir s’intéresse davantage, pour sa part, aux questions de la « cohabitation interreligieuse » et « du respect du culte dans un contexte plus que jamais multiculturel » (p. 195). Après avoir brossé un bref portrait de l’historique des deux journaux – celui du Devoir aurait gagné à être quelque peu étoffé –, l’auteure présente dans le deuxième chapitre la couverture médiatique de la crise dans les pages de ces quotidiens. Les articles, les éditoriaux, le courrier des lecteurs, les photographies de presse et les caricatures – celles produites par les artistes de Libération et du Devoir, non les reproductions des caricatures de la série « Les visages de Mahomet » – ont ainsi été méticuleusement examinés par Nevert, qui note un moment fort de la couverture dans les deux premières semaines de février. Les troisième et quatrième chapitres de l’ouvrage portent sur les images mêmes de la crise – pour reprendre le titre du troisième chapitre –, mais ce sont les photographies de presse qui retiennent l’attention de l’auteure. Après avoir présenté dans un premier temps des données d’ordre plus général sur l’ensemble des photographies utilisées par les deux quotidiens, Nevert revient par la suite sur six photographies qu’elle analyse avec force détails, pour le plus grand plaisir du lecteur, et ce, bien que la structure soit, ici comme ailleurs, répétitive. Enfin, dans le dernier chapitre, elle resserre son analyse sur les éditoriaux, considérant que le point de vue qui y est exprimé l’est « au nom du journal et non pas, comme dans le cas des articles ’d’humeur’ ou ’de commentaire’, au nom du seul auteur de l’article » (p. 140). Six éditoriaux sont passés au peigne fin par l’auteure, trois pour chaque quotidien, comme il se doit. Leur analyse permet de montrer clairement en quoi « la liberté d’expression est un droit essentiel qu’il faut défendre absolument tout en comprenant les limites que la morale et le respect imposent » (p. 170) pour Libération, et qu’il s’agit surtout « de la place de la religion dans son rapport avec le politique » (p. 187) pour Le Devoir. Considérant la place prépondérante qu’occupe l’image dans cet ouvrage – de son sujet même jusqu’aux photographies de presse en passant par la mise en page des quotidiens –, une iconographie plus abondante aurait non seulement été souhaitable, mais nécessaire. Que les caricatures de la série « Les visages de Mahomet » n’y aient pas été reproduites, cela se comprend, car l’ouvrage porte sur la couverture médiatique de la crise, sans compter que la reproduction de ces dessins soulève aussi des questions éthiques. Cela dit, les deuxième, troisième …
Lélia Nevert, Les caricatures de Mahomet entre le Québec et la France. Étude comparative des journaux Libération et Le Devoir, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2013, 248 p.[Record]
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Alexandre Turgeon
Département des sciences historiques, Université Laval
alexandre.turgeon.2@ulaval.ca