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Dans cette monographie, Martin Normand analyse la notion de développement vis-à-vis des communautés francophones minoritaires, de l’adoption de la Loi sur les langues officielles (LLO) en 1969 jusqu’à la présentation de la deuxième Feuille de route pour la dualité linguistique en 2008. La monographie débute par une présentation du débat entre les politologues qui valorisent surtout l’égalité des chances et la participation démocratique, dont Alan Cairns, et ceux qui voient l’habilitation et l’autonomisation des communautés minoritaires comme la suite logique du processus de développement, dont Linda Cardinal. Selon l’auteur, les nombreux rapports des acteurs du terrain, ceux de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) et ceux des comités parlementaires principalement, ont fortement influencé l’évolution de cette notion de développement des communautés minoritaires. Tandis que la LLO d’origine était demeurée frileuse ou muette à son propos, la refonte de 1988 a intégré la Partie VII, qui a accordé de nouveaux pouvoirs au commissaire aux langues officielles, a fait du français une langue de travail dans l’ensemble de la fonction publique et a responsabilisé cette dernière vis-à-vis de sa mise en oeuvre (p. 54-55).
L’arrêt Mahé à la Cour suprême du Canada (1990) et la position du gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney (1984-1993) ont aussi encouragé l’autonomisation des groupes minoritaires dans la gestion de leurs établissements scolaires, légitimant ainsi plus globalement l’autodétermination comme trait fondamental de la notion de développement (p. 66-69). La période libérale sous la gouverne de Jean Chrétien (1993-2003), misant sur les progrès sectoriels au détriment d’une vision d’ensemble, est toutefois vue d’un mauvais oeil. Par exemple, la FCFA a fini par se mouler dans les processus bureaucratiques du gouvernement pendant la période (p. 92). Quant aux années plus récentes, l’abolition de programmes et de services fédéraux ont poussé la FCFA, selon Normand, à être plus ambitieuse et à favoriser un développement ancré dans la solidarité et la responsabilité collective (p. 109), ce qui représente pour lui une « nouvelle politisation du discours » (p. 110) chez les communautés minoritaires.
L’ouvrage dépeint avec brio l’évolution de la notion de développement sur quarante ans. Ce cadre historique plutôt large constitue cependant aussi une faiblesse, car l’étude ne situe pas toujours suffisamment les événements dans le contexte des rapports de force entre Ottawa et Québec, entre les provinces et dans le Canada anglais en général. Sur le plan des sources secondaires, l’ouvrage repose presque exclusivement sur des études de science politique, sans faire appel aux analyses des historiens des politiques publiques tels que Michael Behiels, Matthew Hayday, Marcel Martel ou encore Martin Pâquet. Leur inclusion aurait sans doute comblé quelques absences dans la trame historique du livre. Puisque le premier chapitre (de 1969 à 1987) est plus court que les trois autres, on aurait également pu rappeler les conséquences des commissions royales d’enquête Massey (1949-1951) et Laurendeau-Dunton (1963-1971) et l’intervention progressive du gouvernement fédéral dans la question linguistique, autrefois considérée comme une compétence provinciale exclusive. Finalement, on aurait aussi pu mieux distinguer les attitudes des gouvernements libéraux et conservateurs, les premiers étant plus portés à favoriser la participation individuelle à la vie publique et les seconds étant plus sympathiques à une certaine asymétrie en ce qui a trait aux collectivités minoritaires. Malgré ces quelques réserves, cet ouvrage est agréable à lire et il fait la synthèse de nombreuses sources. Il demeure optimiste vis-à-vis de la repolitisation des dernières années et souligne à grands traits l’importance d’une société civile active pour une démocratie saine.