Comptes rendus

Hélène Belleau, Quand l’amour et l’État rendent aveugle : le mythe du mariage automatique, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012, 158 p.[Record]

  • Dominique Morin

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Entrer ou non dans le mariage ou dans l’union civile est généralement considéré au Québec comme relevant du libre choix des conjoints, dans l’opinion populaire comme par le législateur. Faut-il rappeler cependant que prendre cette liberté entre adultes consentants suppose préalablement une décision conjointe moins évidente qu’au temps des parents de la plupart des Québécois en âge de se marier ? La tierce alternative, demeurer conjoints de fait, apparaissait être le « choix » de 37,8 % des couples québécois lors du recensement de 2011. Cette proportion place le Québec en tête des provinces canadiennes et au sommet des comparaisons internationales à ce chapitre. Or, de nos jours, en union libre comme dans le mariage, la vie conjugale n’est plus tant une destinée clairement modelée par des traditions instituées et un modèle qu’un parcours pouvant prendre les allures du drame ou de la comédie de moeurs. Si une partie des couples en union libre sont résolus à ne jamais se marier, ni même à s’unir civilement ou à signer un contrat de vie commune, il en est aussi qui, pour diverses raisons, ne se posent pas la question, estiment « ne pas être rendus là » ou reportent la célébration d’un mariage à un moment plus opportun. Il arrive aussi que des conjoint(e)s évitent d’aborder la question, n’évoluent pas au même rythme dans le discernement de ce qu’ils veulent ou encore se retrouvent dans un couple où le choix de demeurer ensemble impose de se plier à ce que désire l’être aimé, ce dernier refusant ou pressant une formalisation de l’union. Il est enfin des situations conjugales où le libre choix n’est pas vécu comme tel au moment de la séparation, quand la découverte de son ignorance des implications légales du choix d’une forme d’union, celle de la piètre valeur des promesses du conjoint qui se montrait bienveillant ou le sentiment d’avoir été manipulé en prévision d’une éventuelle séparation de biens qui vous ruine, tout cela ne change rien à la présence ou l’absence d’un encadrement légal de l’union réglant les décisions du tribunal. Pareils moments de vérité en union libre peuvent s’avérer d’autant plus graves au Québec qu’il s’agit de la seule province du pays où les séparations des conjoints de fait se règlent « librement », c’est-à-dire sans encadrement légal, au nom du respect du libre choix des individus de se soumettre ou non aux effets du mariage. En janvier 2013, devant la cause médiatisée d’Éric contre Lola, la décision de la Cour suprême du Canada relative à l’exclusion des conjoints de fait québécois des obligations concernant les pensions alimentaires et le partage du patrimoine familial renvoyait au législateur québécois la question de la justice de cette liberté périlleuse : cinq juges contre quatre y ont vu une forme de discrimination envers les conjoints de fait, mais la juge en chef Beverley McLachlin a fait pencher la balance en faveur d’un statu quo estimé raisonnable dans une société libre et démocratique. C’est avant le jugement de cette affaire qu’Hélène Belleau publiait l’essai recensé. Son ouvrage oscille entre deux intentions, qu’il faut distinguer pour éviter un jugement fondé sur une seule des deux. La quatrième de couverture annonce que cet essai vise à « éclairer, d’un point de vue sociologique, l’augmentation des unions conjugales en marge du droit en présentant le point de vue des couples » (nous soulignons), tandis que le titre renvoie à un plaidoyer contre la fiction juridique voulant que les couples qui demeurent conjoints de fait choisissent de s’exclure des obligations des conjoints mariés. L’amour et l’État rendent la plupart des conjoints aveugles aux implications …