Comptes rendus

André Frappier, Richard Poulin et Bernard Rioux, Le printemps des carrés rouges : lutte étudiante, crise sociale, loi liberticide, démocratie de la rue, Montréal, M éditeur, 2012, 159 p. (Coll. Mobilisations)[Record]

  • Louis-Simon Corriveau

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Ce n’est pas sans raison que Le printemps des carrés rouges trouve sa place dans la littérature entourant le Printemps québécois et la lutte contre le néolibéralisme. Les auteurs proposent en effet une bonne description du mouvement des « carrés rouges » et de sa genèse, bien que l’analyse et l’interprétation sociologiques s’avèrent, elles, plutôt précipitées. Dans cet ouvrage, Frappier, Poulin et Rioux sont habités par une visée centrale : chercher à comprendre ce qui aurait nui à l’approfondissement et à la potentielle victoire de la lutte étudiante. Lorsque celle-ci en est venue à souscrire aux critiques faites au néolibéralisme, la lutte aurait dû connaître une mise en commun des initiatives de la part du mouvement étudiant, des centrales syndicales et des autres mouvements sociaux afin d’établir un front social commun, estiment-ils. Or, les centrales syndicales et les partis politiques au pouvoir ont, pour la plupart, manqué à cet appel. Pourquoi ? Aventurons-nous plus profondément dans ce petit ouvrage pour tenter d’y voir plus clair. Les auteurs inscrivent dès le premier chapitre la lutte étudiante québécoise dans la continuité des différents mouvements qui rythment la scène sociale et politique internationale depuis une quinzaine d’années. Ces mouvements, qui ont pris de l’ampleur à la suite de la crise financière de 2007-2008, se rencontrent dans les moyens d’action utilisés, dans leur fonctionnement et dans « la compréhension des enjeux et des cibles » (p. 22). Après l’état de résignation qui semble avoir caractérisé les années 1980-1990, nous serions maintenant entrés dans une période d’actions et d’indignation remettant en question l’ordre néolibéral, comme l’indiquent les luttes altermondialistes, le Printemps arabe, le mouvement des Indignés et, plus près de nous, le mouvement étudiant québécois. Les auteurs s’intéressent aux transformations que connaît l’éducation, transformations provoquées par le tsunami néolibéral. Pour eux, le désengagement de l’État et la tendance à la marchandisation de l’éducation se sont considérablement accentués depuis 1989, de nombreuses compressions de la part des deux paliers gouvernementaux ont miné le financement de la formation postsecondaire et l’introduction de la logique de l’utilisateur-payeur dans le budget proposé par le gouvernement libéral en 2010 ont fait de l’éducation un marché comme un autre. Autrement dit, le système d’éducation postsecondaire québécois aurait été contaminé par le virus de la marchandisation de l’éducation, avec comme élément catalyseur important le gouvernement libéral. Une fois cette maladie contractée, le Québec serait devenu victime d’un accroissement de la concentration des richesses, de la pauvreté et de l’endettement étudiant. De plus, l’inscription de l’université dans la logique marchande modifie la conception même de l’éducation, selon les auteurs. Considérer l’éducation comme un investissement justifie en effet l’endettement étudiant, au sens où les « individus-clients » deviennent des entrepreneurs faisant fructifier leur « capital humain » grâce à des « choix rationnels » (p. 45). C’est donc l’essence même du rapport à l’éducation qui se transforme en s’adaptant au vocabulaire et à la logique du marché. La contestation de la hausse des droits de scolarité apparaît dès lors comme un nouveau point de départ dans la critique du modèle néolibéral en éducation. Le mouvement étudiant réaffirme certains principes vitaux, comme l’idée que « l’éducation est un droit » pour tous qui doit « échapper à la sphère marchande » (p. 58). S’inscrivant dans un contexte d’insatisfaction et de mécontentement « profond et ample » de la population envers le gouvernement en place, le mouvement des « carrés rouges » s’est rapidement politisé (p. 78), la lutte étudiante devenant également sociale. Celle-ci a pris une ampleur nationale avec les manifestations des 22 mars et 22 avril 2012, qui ont rassemblé quelques centaines de milliers …