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Dans sa note liminaire de Canada-Québec, l’éditeur Gilles Hernan explique qu’il s’agit de la 4e édition de cette synthèse populaire qui fut, pour de nombreux élèves de secondaire 4, un manuel de référence. La première édition remonte à 1968 mais, précise-t-on au début, l’essentiel du contenu daterait de 1983, soit l’époque où le livre paraissait aux éditions du Renouveau Pédagogique. En marge de la page 396, il est toutefois mentionné que le chapitre sur la Grande Guerre « a été rédigée en 1968 », une mention qui instille un doute dans l’esprit du lecteur qui se demandera jusqu’à la fin de sa lecture ce qui date de 1968 et de 1983. Un indice « compromettant » : les notes de bas de pages, qui ne dépassent guère les années 1970 et renvoient notamment aux synthèses des Lionel Groulx, Thomas Chapais, Robert Rumilly et Mason Wade. Dans le corps du texte, l’historien le plus cité est Maurice Séguin, professeur et maître à penser de Denis Vaugeois durant les années 1960. L’historiographie récente, et du reste fort complète, se retrouve aux marges du texte. Ces monographies sont trop brièvement résumées et, la plupart du temps, généreusement complimentées pour leurs qualités. J’aurais pour ma part préféré que ces recherches plus récentes soient intégrées au corps du texte et qu’elles influencent davantage le récit. J’ajoute qu’au strict plan de la présentation, ces notes en marge distraient davantage le lecteur qu’elles ne le guident au travers des trois parties de ce gros livre touffu.
Le format retenu par les auteurs – celui d’un manuel « scolaire » – rend la lecture d’une couverture à l’autre laborieuse. Les auteurs n’ont pas vu la nécessité de nous présenter, dans une note introductive, un plan d’ensemble, un fil conducteur qui traduirait quelque chose comme une intention générale, un esprit. Plutôt que d’opter pour une grande trame narrative cramponnée à la chronologie, laquelle verrait les événements s’emboîter les uns dans les autres, les auteurs ont préféré superposer les trames politique, économique et culturelle. Une histoire par tranches, donc, qui distingue des événements, des faits ou des phénomènes souvent très imbriqués. Dans la première partie, la religion est reléguée dans la sphère culturelle alors qu’elle joue un rôle éminemment politique à l’époque de la Nouvelle-France. Tout un chapitre de cette même partie traite des grandes compagnies comme s’il s’agissait d’une dimension économique distincte de la politique. À ces sections thématiques s’ajoutent, dans la dernière partie, des sous-sections géographiques (monde, Canada et Québec), ce qui peut créer des confusions. Dans le chapitre XIV de la dernière partie, par exemple, il est question des conséquences des référendums dans la partie « Canada » alors qu’on ne sait toujours pas que le Québec a tenu une consultation en 1995.
Ce manuel impressionne par son exhaustivité. On y retrouve en effet toutes les informations pertinentes sur l’histoire du Canada et du Québec, agrémentées d’images et enrichies de sources d’époque. Très bien faits, les tableaux synchroniques de la fin, qui s’étalent sur 41 pages, seront très utiles à l’étudiant pour situer les grands événements mondiaux, canadiens et québécois. Sur le fond, je me permettrai les remarques suivantes que je voudrais constructives.
D’abord, quelques mises en contexte me semblent faire problème. Les auteurs ne situent pas l’épopée mystique de la Nouvelle-France dans le contexte de la grande réforme catholique comme nous y invite l’historienne Dominique Deslandres depuis quelques années. Lorsqu’ils abordent la période Duplessis, il est assez peu question de la guerre froide – ils en traitent curieusement dans le chapitre suivant. Ce contexte international explique pourtant plusieurs décisions du chef de l’Union nationale. Aussi, une fois la période de la Nouvelle-France terminée, la France disparaît de l’écran radar. Plusieurs introductions de chapitres nous expliquent ce qui se passait aux États-Unis et en Angleterre mais jamais en France, comme si l’ancienne mère-patrie n’influençait plus le cours des événements. La Révolution française est à peine mentionnée, de même que la fuite des religieux de la France républicaine du tournant du 20e ; aucun mot sur la visite de La Capricieuse, à peu près rien sur le « Vive le Québec libre ! » du général de Gaulle.
Enfin, les chapitres de la dernière partie m’ont semblé moins réussis. Ceux sur la Révolution industrielle présentent l’émergence du syndicalisme mais, sauf citer Errol Bouchette, ne font pas vraiment mention des efforts de la bourgeoisie francophone pour mettre fin à l’infériorité économique des Canadiens français. La création d’une Chambre de commerce francophone à Montréal n’est pas même mentionnée, ni la fondation du Mouvement Desjardins. Aussi, lorsqu’il est question des années 1930, les auteurs ne distinguent pas les différents mouvements de pensée qui fondent des revues, proposent des programmes. Le Jour ou Vivre sont évoqués d’un même souffle pour montrer le bouillonnement d’une époque mais sans caractériser les idées fort différentes des uns et des autres. Le mouvement d’action catholique qui prend alors son essor est à peine évoqué. Dans l’avant-dernier chapitre sur les années 1980, la crise économique et les mesures originales du gouvernement du Québec pour la juguler (ex. : RÉA, Fonds FTQ) ne sont pas expliquées. Dans ces cas précis, il aurait été bien que l’historiographie récente, souvent évoquée en marge, se fasse mieux sentir dans le corps du texte.
Enfin, le traitement de la question nationale est à la fois prudent et ambivalent. Prudent parce que, lorsque vient le temps de traiter de la période contemporaine, les événements défilent trop rapidement et souffrent d’une présentation qui m’a semblé impressionniste. L’élève qui lira ce manuel aura du mal à saisir l’idéologie du R.I.N. et du P.Q. ou à comprendre les revendications du F.L.Q. – pourquoi d’ailleurs ne pas avoir cité leur manifeste ? La saga linguistique, qui commence avec la crise de Saint-Léonard, n’est pas clairement présentée, de même que les différents scénarios d’accession à l’indépendance. Je soupçonne ici les auteurs d’avoir voulu montrer patte blanche auprès de lecteurs méfiants qui craignaient la « propagande ». Mais il y a aussi une ambivalence sur la représentation que se font les auteurs de la nation. Ils ont voulu plaire à ceux qui croient que le Québec est moins une communauté de mémoire qu’un territoire habité par une population diversifiée. Cette conception civique se donne à voir au premier chapitre, lequel ouvre le manuel avec la présence des Amérindiens, présentés comme les premiers véritables fondateurs du pays. La première page du magnifique cahier de photos a pour titre « Tous des immigrants » (p. 481), manière typique de minimiser la contribution des colons français (ou anglais) à l’édification du Québec (ou du Canada). Cette présentation très « politiquement correcte » tranche cependant avec l’épilogue apocalyptique du manuel. Dans une suite de tableaux à peine commentés mais dont le choix révèle une conception plus culturelle de la nation, on apprend que le poids du Québec au sein du Canada n’a cessé de diminuer depuis 1960, que le français est de moins en moins parlé en dehors du Québec, que la population québécoise est vieillissante, que les avortements et les divorces ne cessent d’augmenter et que le nombre d’immigrants continue de croître. « Outre l’impact linguistique, l’apport de diverses cultures et leurs pratiques religieuses ont eu tendance à créer un certain malaise », écrivent les auteurs (p. 536). On pourrait leur répondre que si nous sommes « tous des immigrants », l’histoire ne fait que suivre son cours et qu’il est inutile de s’en inquiéter. On comprend cependant que leur épilogue renvoie à une autre conception de la nation, plus inquiète de la précarité d’un peuple, très consciente des dangers qui le guettent s’il ne reste pas vigilant.