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L’histoire de la Révolution tranquille retient de plus en plus l’attention des historiens, qui se penchent sur les institutions et l’État québécois, mais aussi sur les artisans de cette révolution et sur leurs idéaux. Le rôle du personnalisme est mieux compris, et plus généralement, celui de l’Église et des chrétiens dans l’avènement de cette révolution. La revue Maintenant est une pièce importante du puzzle, car comme le livre de Martin Roy le montre éloquemment, elle est tout à fait en phase avec son époque, et porte bien son titre ; son tirage dans les premières années aurait oscillé entre 11 000 et 12 000 exemplaires pour rejoindre quelque 50 000 lecteurs. La revue prend position dans tous les débats importants, et notamment pour la création du ministère de l’Éducation et dès 1967, pour le socialisme et l’indépendance. Maintenant, au départ parrainée par l’Ordre des Dominicains, s’en émancipe au fil des ans ; un des éléments déclencheurs de cette distanciation est la prise de position de la revue en faveur de la contraception.
La « mise à jour » à laquelle oeuvrent les collaborateurs de la revue – l’actualisation de la tradition catholique – vise, selon Roy, à promouvoir une « laïcité ’ouverte’ qui permettait l’expression de la foi chrétienne dans la sphère des institutions publiques et dans l’espace public » (p. 16), loin de tout intégrisme. C’est par « le rayonnement et le témoignage » (p. 128) des chrétiens – et essentiellement des chrétiens de gauche comme ceux qui écrivent dans la revue – que peut advenir cette modernisation. Dans une perspective que l’on pourrait qualifier de protestante, ce que Martin Roy ne se risque pas à faire, la religion est de plus en plus conçue comme une affaire privée, qui passe par l’expérience plus que par l’institution.
Le livre comprend deux parties d’inégale longueur, mais d’intérêt comparable. L’histoire de la revue, ses tiraillements et la valse hésitation dans ses relations avec les Dominicains, dont à la fois elle revendique l’indépendance tout en souhaitant profiter de la légitimité, voire de la caution, que lui confère ce rattachement sont bien mises en évidence dans la première partie. En effet, « on avait besoin du ’sceau dominicain’, du sceau du clergé pour aider à la libération des consciences » (p. 60). Dans cette première partie sont discutés en détail les remous causés dans l’espace public, en plein mois de juillet (1965), par le « renvoi » du fondateur de la revue, le père Henri-Marie Bradet, à la suite de l’intervention du général de l’Ordre, depuis Rome, et malgré le support du supérieur provincial.
La deuxième partie discute des positions de la revue, et les examine à la lumière de celles d’autres revues du Québec, mais aussi de la doctrine sociale de l’Église et des transformations en la matière apportées par le Concile Vatican II, qui s’ouvre l’année même de la fondation de la revue. Y sont discutées en détail les positions des animateurs qui se disent « socialistes parce que chrétiens », selon le titre du chapitre sept, et la façon dont ils conçoivent les liens entre la religion et la politique. En fait, le projet était ni plus ni moins que de moderniser la religion, « rompre les liens qui l’associaient à une vision dépassée du monde » (p. 304).
Je souligne en terminant l’érudition de l’auteur, à l’aise dans la discussion des débats qui animaient la Révolution tranquille comme dans celle des arcanes de la doctrine sociale de l’Église, et la qualité de sa plume qui guide le lecteur dans cet itinéraire.