Comptes rendus

Andrée Lévesque, Chroniques d’Éva Circé-Côté. Lumière sur la société québécoise, 1900-1942, Montréal, Les Éditions du remue-ménage, 2011, 312 p.[Record]

  • Annie Cloutier

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Il y a deux façons d’aborder l’ouvrage d’Andrée Lévesque. Soit on plonge avec candeur, sans les outils conceptuels habituels, dans l’univers étonnant des idées d’il y a cent ans ; soit, au contraire, on se saisit de ce recueil de chroniques dans un espoir de connaissance et de compréhension et alors, hélas, on est déçu. Je suis la première à appeler de mes voeux une meilleure représentation des voix féminines dans l’histoire des sciences politiques et sociales québécoises. Il ne fait de prime abord aucun doute qu’Éva Circé-Côté, par la prolixité, la verve, la diversité et la persévérance de ses écrits, mérite sa place au générique des citoyennes et des citoyens qui ont contribué à l’avancement des idées au Québec. Ses écrits devaient être réédités. Mais valent-ils le labeur et l’exclusivité que leur consacre Andrée Lévesque depuis quelques années ? De fait, ni le simple plaisir de lire, ni l’appétit intellectuel ne sont tout à fait satisfaits par la lecture de cette sélection de chroniques écrites par la femme de lettres Éva Circé-Côté dans divers journaux québécois et sous divers pseudonymes masculins au début du 20e siècle. L’étonnement, certes, est au rendez-vous à chaque page. Pourquoi ces abondantes allusions à Dieu, à l’immoralité et au péché sous la plume d’une femme qu’Andrée Lévesque tient à présenter comme une partisane de la laïcité athée ? Pourquoi cette profusion d’idées hygiéniques, moralistes, eugéniques (la « déchéance de la race » est un thème récurrent), va-t-en-guerre, etc., posées comme des évidences ? (N’est-il pas trop aisé et condescendant de tout expliquer par « la mentalité de l’époque » ?) Comment expliquer l’attrait qu’éprouve Éva Circé-Côté pour les « inutilités charmantes en papier doré » des « magasins de quinze sous », « d’autant plus appréciés qu’ils ne durent pas longtemps… » (p. 61) et mille autres opinions franchement troublantes ? L’écrivaine recourt abondamment à des formules aujourd’hui jugées creuses, à des proverbes, à des stéréotypes d’une platitude inouïe (il faut se buter à chaque page aux allusions d’Éva Circé-Côté à l’appétit sexuel des hommes, « flot impur [qu’on ne peut forcer) à réintégrer son lit [et qu’il faut donc se contenter de] canaliser » (p. 104) et aux « cervelles d’évaporées » (p. 99) des jeunes « coquettes insatiables qui ne rêvent que toilettes, bijoux et parures » (p. 113)), à des métaphores parfois douteuses (les pensionnats pour filles comme endroits « où l’on élève des plantes de prix » (p. 63)), à des preuves pour le moins circonstancielles et subjectives (« Le gouverneur du pénitencier de Kingston me fit l’aveu un jour que la plupart des meurtriers qui échappent à la potence deviennent fous ou meurent à brève échéance après leur crime » (p. 173)), à des lieux communs (« honneur, gloire à la puissante et maternelle nature qui triomphe dans la femme » (p. 33)), à une érudition impressionnante mais somme toute pompeuse et parfois sans pertinence (même l’enchanteur Merlin est cité [p. 33)] et à un lyrisme proprement insupportable à certains moments (« tandis que le beau sang vermeil de la France gicle des cerveaux et des poitrines sur le champ de bataille » (p. 81)). Difficile, à travers ce foisonnement, de distinguer nettement, à l’instar d’Andrée Lévesque (Le Devoir, 11 juillet 2005), une écriture qui devait notamment servir à « extirper les préjugés de race, de sexe et de religion » et à militer pour que toutes les Canadiennes françaises et tous Canadiens français aient accès à ce qu’on appelait alors l’ « instruction ». (De fait, dans une chronique publiée en 1916, Éva Circé-Côté écrit …