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L’histoire environnementale est un champ d’étude en plein essor. Les historiens examinent les rapports entre les sociétés et leur environnement sur de longues périodes et souvent sur de larges espaces. Les villes n’ont pas été absentes des travaux en histoire environnementale et l’ouvrage sur Montréal, sous la direction de Castonguay et Dagenais, est une contribution originale à l’histoire de la région de Montréal et de son environnement particulier. L’eau y a été et est toujours un élément naturel capricieux. Abondante, mais aussi dangereuse, l’eau à Montréal a fait l’objet de grands travaux d’aménagement et d’infrastructures ; l’ouvrage lui consacre plusieurs chapitres. L’environnement se présente aussi sous la forme de microbes à combattre. La ville favorise l’essor de maladies contagieuses qui peuvent se développer en épidémies. Le milieu physique urbain s’imbrique dans un milieu plus rural ; leurs évolutions se croisent. L’un peut perdre au détriment de l’autre, mais les deux milieux physiques et sociaux profitent aussi d’interactions soutenues. Enfin, si l’environnement est affaire de contrôle, de maîtrise, d’interventions et d’aménagements physiques, il est aussi objet de représentations, de beauté à conserver, de laideurs à bannir.
C’est autour de ces thèmes que l’ouvrage s’est organisé. Divisé en trois parties (représentations, infrastructures et axe rural-urbain), il donne un aperçu très diversifié de l’écologie (politique) de la région. Les aménagements et les interventions, qui ont été réalisés au fil des années, des décennies et des siècles, ont créé une nature urbaine nouvelle, qualifiée de socionature, qu’il conviendrait de mettre au pluriel comme dans le titre, d’ailleurs fort bien choisi. Cette idée met en évidence la transformation graduelle et parfois difficile de l’environnement dans lequel l’occupation et l’urbanisation de Montréal se sont produites. Les techniques et les technologies (ou grands systèmes) ont façonné cet espace en une construction constante. Les techniques apparaissent comme de puissants médiateurs entre un environnement, souvent imprévisible, et une volonté d’occuper le territoire montréalais et de le soumettre aux besoins, aspirations et désirs des populations. Les auteurs se sont tous intéressés à la dimension politique qui marque le territoire et crée souvent des inégalités (environnementales) nouvelles. En effet, le choix des interventions est en grande partie déterminé par les jeux de pouvoir et les jeux politiques. Plusieurs auteurs le montrent avec force. L’image d’une nature que l’on doit collectivement maîtriser ne tient pas très bien la route quand les élites locales font des choix et produisent, par leurs interventions, des effets sociaux différenciés. Par exemple, le contrôle des inondations au 19e siècle est tout autant affaire de politique locale entre groupes d’élus qu’affaire d’expertise technique. L’est et l’ouest de Montréal, gens d’affaires et habitants de quartier, se sont à cette époque divisés sur les décisions d’aménagement à prendre. Un autre exemple est fourni par la rivalité entre la ville et la campagne. L’aménagement du canal puis du barrage de Beauharnois, à partir des années 1920, a modifié l’environnement traditionnel rural et mis en péril l’agriculture qui s’y pratiquait. L’eau et les inondations ont été des facteurs de changements environnementaux suivant de grands aménagements commandés par une économie moderne, mais fragilisant le mode de vie rural. D’autres exemples contribuent à mettre en évidence le caractère social, politique et culturel des relations à l’environnement. Aux 19e et 20e siècles, se sont affrontés ingénieurs et experts de la santé publique sur la gestion de l’eau. D’autres auteurs se servent de travaux en apparence purement techniques, comme le tracé des rues, l’approvisionnement en eau, pour montrer combien les décisions techniques relèvent de choix politiques et sociaux. S’il existe un leitmotiv à cet ouvrage collectif, c’est bien cet aspect des relations entre la nature et la société montréalaise en développement. L’épidémie d’influenza, qui a frappé Montréal entre 1918 et 1920, n’a pas seulement produit une intervention médicale et microbiologique, mais aussi une action politique et sociale. Les autorités qui sont intervenues ont fait des choix politiques : médecins et réformateurs sociaux se sont opposés sur la marche à suivre pour enrayer l’épidémie, puis éviter qu’elle se reproduise. Les premiers ont préconisé des mesures d’hygiène et médicales durables, les seconds ont élargi le problème aux conditions de vie et d’habitat, notamment aux conditions de logement.
Enfin, les représentations jouent leur rôle. La planification des réservoirs d’eau s’est inscrite dans l’urbanisme moderne, qui prend alors racine dans les corps professionnels. Un réservoir couvert peut servir de parc et d’espace vert, outils de l’urbanisme moderne. Mais cette conception est le résultat d’une lutte professionnelle et politique ; elle ne s’est pas imposée d’elle-même. Il en va de même en ce qui a trait à la planification des autoroutes urbaines : leur représentation est passée du blanc au noir, de la lumière à l’ombre, à mesure qu’elles envahissaient l’espace urbain.
Cet ouvrage est riche en informations et en analyses historiques ; il est difficile de rendre justice à chaque auteur et à chaque texte. Il couvre une longue période, se concentrant sur les deux derniers siècles. Si on remonte, à l’occasion, à l’époque coloniale, c’est l’industrialisation de la région et ses effets qui attirent l’attention des chercheurs. Les textes traitent de problèmes et d’enjeux très variés. Ils peuvent dérouter un lecteur qui désirerait un ouvrage plus homogène, écrit par un seul auteur, mais les deux directeurs de la publication ont, à la fois dans une introduction et dans une conclusion, fait un résumé des textes et des questions de manière à piquer la curiosité et à guider le lecteur. L’histoire environnementale urbaine au Québec est bien amorcée. Il reste à souhaiter qu’elle se poursuive dans d’autres villes et régions qui se sont industrialisées et urbanisées rapidement.