Comptes rendus

Gaëtan Brulotte, La nouvelle québécoise, Montréal, Hurtubise, 2010, 335 p.[Record]

  • Myriam Saint-Yves

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Romancier, essayiste et nouvelliste reconnu, Gaëtan Brulotte offre dans son essai La nouvelle québécoise un survol historique de l’évolution du genre bref au Québec, du 19e siècle jusqu’aux années 2000. Les observations de Brulotte sont illustrées par une fine lecture critique des auteurs phares de chaque décennie, et accompagnées d’une mise en contexte sociohistorique et littéraire. Longtemps considérée comme un genre mineur, la nouvelle se révèle un terrain propice à l’expérimentation littéraire ainsi qu’un outil de remise en question de l’idéologie en place. Brulotte situe la naissance de la nouvelle vers la fin du 19e siècle, époque où les périodiques commencent à publier des récits brefs. La nouvelle est alors, plus que tout autre genre littéraire, un vecteur de modernité : des auteurs comme Eugène L’Écuyer, Faucher de Saint-Maurice ou Joseph Provost utilisent la forme brève pour contester l’idéologie agriculturiste et religieuse d’alors. De 1900 à 1940, le climat d’instabilité qui règne fait apparaître deux tendances opposées chez les nouvellistes : alors que bon nombre d’entre eux effectuent un retour aux valeurs conservatrices du XIXe, d’autres comme Rodolphe Girard, Léo-Paul Desrosiers et Jean-Charles Harvey adoptent une approche critique de la tradition. Le retour au pays d’artistes exilés durant les années 1940 suscite une ouverture sans précédent à la modernité : Brulotte observe chez les auteurs de la décennie une volonté générale de renouveler les formes narratives et les thématiques. La nouvelle se dissocie alors radicalement de l’idéologie du terroir et s’ouvre sur le monde, notamment chez François Hertel et Alain Grandbois. Les années 1950 marquent l’entrée des femmes dans la littérature avec les recueils d’Adrienne Choquette, Anne Hébert, Gabrielle Roy et Claire Martin. Ces femmes offrent des nouvelles réflexives, proches de l’essai, qui se tournent surtout vers l’intériorité de personnages écrasés et délaissés par la société. Durant les années 1960, la nouvelle devient explicitement engagée. Jacques Ferron, qui compte parmi les auteurs les plus importants de la décennie, peint la transition entre l’ancien et le nouveau monde qui naît avec la Révolution tranquille. Alors que les nouvelles de Michel Tremblay, André Major et Jacques Renaud soulèvent les questions du joual et des problèmes sociaux, celles de Jean Hamelin, Jean Simard et Claude Mathieu glissent plutôt vers l’absurdité kafkaïenne et l’imaginaire. Brulotte relève dans les années 1970 la naissance de la nouvelle érudite chez Jean Éthier-Blais et l’influence de la contre-culture américaine qui suscite une libération thématique et formelle sans précédent dans la littérature québécoise. Le féminisme, l’altérité et l’aliénation individuelle reviennent comme thèmes centraux chez plusieurs auteurs. Les innovations des années 1970 semblent avoir préparé « l’âge d’or » de la nouvelle de 1980 à 2000, deux décennies durant lesquelles la production s’accroît significativement. Le genre est alors renouvelé par des recherches formelles de plus en plus raffinées ; selon Brulotte, la fragmentation de la nouvelle en fait d’ailleurs la forme la plus adaptée à la modernité. On peut affirmer sans hésiter que Gaëtan Brulotte réussit dans son essai à redonner ses lettres de noblesse à cette « fille rebelle de la littérature ».