Comptes rendus

Céline Lafontaine, Nanotechnologies et société. Enjeux et perspectives : entretiens avec des chercheurs, Montréal, Boréal, 2010, 153 p.[Record]

  • Louis Guay

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Dans un petit livre plutôt dense, la sociologue Céline Lafontaine se demande comment les acteurs des nanosciences et des nanotechnologies définissent leur propre champ de recherche et se représentent la portée sociale de leurs recherches. Issue d’entretiens auprès d’une vingtaine de chercheurs du génie, de la médecine et, plus rarement, des sciences fondamentales, l’étude prend le point de vue des praticiens et non des « marchands » de nanotechnologies. En effet, le terrain est souvent miné. Lancées dans la quête de la pierre philosophale de la science, les nanotechnologies font à la fois saliver ou, au contraire, frémir. On s’inquiète des effets sur la santé, l’environnement et la sécurité, mais, à ce discours triste, s’oppose un discours plus enjoué, axé sur les promesses incomparables et incommensurables des nanotechnologies. Lorsque la National Science Fondation se tourne, au début des années 2000, vers les chercheurs du domaine, le ton est optimiste ; publié sous la direction d’un ingénieur, Mihail Rocco, et d’un sociologue, William Sims Bainbridge, son rapport donne une impulsion particulière aux nanotechnolgies. On est en régime de technosciences qui ne peuvent promettre que d’extraordinaires retombées sociales, économiques, écologiques et sanitaires. Mais le message est encore plus spécifique : ces technologies se destinent à améliorer la « performance humaine ». Forts du succès des technosciences du 20e siècle, mais oubliant le périlleux et pénible débat sur les organismes génétiquement modifiés, les promoteurs – et « prometteurs » – des nanotechnologies ne tarissent pas de promesses, taisant souvent les risques, comme si on n’avait pas appris des OGM et du nucléaire, et amplifiant les effets positifs escomptés. Le mot d’ordre scientifique est que l’on assiste à la convergence des technologies, fondées sur des sciences de pointe, soit : les sciences et technologies des matériaux, l’informatique, les sciences et technologies biomédicales et les sciences cognitives, y compris les neurosciences. L’ère du bio, nano, info, neuro (on dit aussi « cogno »), unifiés dans le petit et l’atome, est en voie d’émerger. Le grand mérite de Lafontaine est de s’être adressée aux chercheurs eux-mêmes afin de savoir ce qu’ils pensent et ce qu’ils font. Non seulement comment ils définissent et comprennent les domaines dans lesquels ils se sont investis, mais quels sont les risques, les enjeux sociaux et éthiques, les promesses réelles, les chimères et les difficultés, les défis cognitifs et méthodologiques. En somme, la chercheure leur a demandé d’être à tour de rôle historien, épistémologue, éthicien et citoyen. Ils se sont prêtés à l’exercice avec sérieux et ont tenu des propos très nuancés. Le discours triomphaliste de certains promoteurs ne domine pas, bien que tous aient beaucoup investi, temps, carrière et réputation, dans le bouillonnant domaine des nanotechnologies. À noter que quelques chercheurs préfèrent parler de nanosciences, pour bien marquer la distance entre les découvertes et les applications, mais l’expression la plus répandue demeure nanotechnologie. Si le terme technologie prend le dessus sur celui de science, c’est, selon l’auteure, en vertu de la sélection des informateurs, qui proviennent pour la plupart des disciplines du génie et du génie médical. Les chapitres sont organisés autour de thèmes définis par la sociologue. Chacun démarre sur une mise en contexte qui établit un lien tantôt avec un débat social, tantôt avec une interrogation plus sociologique. Le lien avec les enjeux sociaux est évident. Quels sont les risques ? Sommes-nous en pleine science-fiction quand on promet mer et monde ? La vie humaine sera-t-elle prolongée de manière significative ? Les robots « nano-inventés » prendront-ils le dessus ? La nature humaine disparaîtra-elle au profit d’une nature hybride composée d’organique, mais de plus en plus de technologique …