Comptes rendus

Pierre Anctil, Trajectoires juives au Québec, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2010, 233 p.Pierre Anctil et Ira Robinson (dirs), Les communautés juives de Montréal. Histoire et enjeux contemporains, Québec, Septentrion, 2010, 277 p.[Record]

  • J.-Ignace Olazabal

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Depuis le début des années 1980, Pierre Anctil ratisse avec passion l’histoire et l’anthropologie de la communauté juive ashkénaze de Montréal. Anthropologue de formation, historien de renommée, l’auteur va aux tréfonds des archives, interprétant et traduisant du yiddish des textes de chroniqueurs d’époque (des immigrants juifs originaires d’Europe de l’Est débarquant à Montréal au début du 20e siècle, parmi lesquels Israël Medresh, Simon Belkin, Hirsch Wolofsky ou Haïm-Leib Fucks) pour rendre compte de la dynamique sociohistorique d’une communauté sans pareil dans le paysage intercommunautaire montréalais. Anctil a contribué par son effort constant de littérature comparée, comme aucun autre universitaire québécois francophone, à rendre accessibles aux francophones une sociographie et une historiographie (celles des juifs ashkénazes de Montréal) qui s’écrivent généralement en anglais. Deux ouvrages nouveaux viennent enrichir sa bibliographie, le premier est un recueil d’articles déjà parus, un peu comme son Tur Malka, il y a près de quinze ans, et le deuxième, sous sa direction et celle de son collègue Ira Robinson, fait le tour des réalités juives contemporaines de Montréal, actualisant en quelque sorte l’ouvrage paru sous sa direction et celle de Gary Caldwell en 1984 (Juifs et réalités juives au Québec, Québec, IQRC, 1984). En bon anthropologue, Anctil suit de proche des écrivains, des artistes et des chroniqueurs, immigrants de la première heure ayant traversé l’océan pour s’installer à Montréal, plutôt qu’à New York ou à Chicago, traduisant même les chroniqueurs du yiddish au français (la lecture de Medresh ou de Belkin est d’une très grande utilité pour comprendre l’organisation sociale des immigrants au début du 20e siècle). Son intérêt pour la littérature yiddish, qu’il trouve admirable tant elle est riche d’enseignement, transparaît dans trois chapitres qui constituent environ le tiers de l’ouvrage. Il ne faut pas oublier, en effet, que la communauté juive ashkénaze de Montréal vécut une yiddishkeit (une culture et une organisation sociale liées à la langue yiddish) jusqu’aux années 1960. L’anglais a très longtemps été un concurrent – qui finira par s’imposer – d’une langue ancestrale issue du Moyen Âge, le yiddish – que parlent aujourd’hui, en tant que langue vernaculaire, les hassidiques – et qui conditionnait l’ensemble de la culture aussi bien religieuse que profane entre le début du 20e siècle et le milieu des années 1960. Et la littérature yiddishophone, faite de mémoires introspectives, de chroniques de la vie quotidienne, de poésie et de romans, est un terreau fertile pour l’anthropologue, tout en étant signe de la vitalité de la mémoire collective d’une communauté qui à la fois est diasporique et désire s’enraciner dans l’espace urbain montréalais. L’autre thème qui interpellera aussi bien l’historien que tous ceux qui s’intéressent au cycle des relations ethniques dans la société québécoise, est celui des relations intercommunautaires à travers la quête d’analogies (qui sont bien réelles) entre les mémoires identitaires juive et québécoise d’origine canadienne-française ou encore les relations sur la place du marché (ici le boulevard Saint-Laurent, frontière réelle, symbolique et imaginaire à une époque pas si lointaine). Quant au deuxième ouvrage, Les communautés juives de Montréal, c’est un livre offrant une bonne synthèse du paysage socioculturel juif montréalais contemporain. Les thèmes choisis proposent une vue d’ensemble de la judaïcité montréalaise au profane, des chapitres distincts étant consacrés à chacune des communautés juives en présence : les Ashkénazes (Rebecca Margolis), les Sépharades (Yolande Cohen) et, parmi les Ashkénazes, le mouvement hassidique (Julien Bauer). Aux chapitres très généraux s’ajoutent d’autres beaucoup plus pointus, comme celui consacré à l’espace accordé aux juifs dans l’aménagement scolaire entre 1874 et 1973 ou encore à la place des femmes dans le judaïsme …