Note critique

Des métaphores sur la langueKarine Cellard et Karim Larose, La langue au quotidien. Les intellectuels et le français dans la presse québécoise, anthologie, vol. 1Les douaniers de la langue (1874-1957), Québec, Éditions Nota bene, 2010, 546 p.[Record]

  • Gérard Fabre

…more information

Cette anthologie intéressera tout autant les littéraires et les linguistes que les historiens ou les sociologues. Elle restitue l’entière complexité des débats sur la langue au Québec dans leur profondeur historique, grâce à la redécouverte de textes difficilement accessibles ou complètement oubliés. Cellard et Larose (désormais C-L) ont fait oeuvre d’exhumation, en montrant comment cheminent les arguments des intellectuels. Les textes retenus condensent des styles différents, relevant du journalisme d’opinion, de l’essai et du discours oratoire. Leur qualité d’écriture s’explique par une exigence initiale : ont été privilégiées les postures originales ou, tout au moins, défendues avec un certain brio (C-L, p. 16). Le corpus possède une unité qui tient au support de la publication : tous les textes présentés ont paru dans la presse écrite (québécoise et parfois hors du Québec), qu’il s’agisse des quotidiens les plus lus (Le Canada, Le Devoir, La Patrie, Le Soleil, La Presse, etc.), de périodiques au lectorat moins large (L’Ordre, La Nation, Le Courrier de Saint-Hyacinthe, La Revue socialiste), voire, plus rarement, de feuilles quasiment confidentielles (Le Travailleur, L’Autorité). La densité du premier volume peut être appréciée au regard de son contenu : pas moins de 118 textes (ou extraits de textes), dus à 69 auteurs différents (dont quatre anonymes) : parmi eux, des célébrités (plusieurs textes d’Henri Bourassa, de Lionel Groulx, d’André Laurendeau, d’Alfred DesRochers et de Félix-Antoine Savard), des spécialistes en études littéraires et en linguistique (Camille Roy, Adjutor Rivard, Jean-Marie Laurence, Pierre Daviault, Louis-Alexandre Bélisle), quelques inconnus identifiables (tel Adélard Desjardins) ou restés dans l’anonymat. Réunir des textes en vue d’une anthologie présente toujours le risque d’un choix sélectif, et donc arbitraire. Les deux éditeurs l’admettent et justifient leur choix : outre la qualité intrinsèque des textes et leur « densité conceptuelle » (p. 16), critères déjà mentionnés, il s’agit le plus souvent de « discours épilinguistiques » (p. 8), se situant hors du champ proprement scientifique. D’autre part, la constitution d’un corpus exclusivement journalistique (bien que certains textes aient eu d’autres fins ou d’autres retombées éditoriales) tient à l’importance avérée de la presse dans l’usage et la diffusion de la langue. Elle permet ainsi de suivre « l’évolution de la question linguistique dans son intrication avec l’esprit du temps, lui-même indissociable d’une rhétorique argumentative marquée par les savoirs et les idéologies de l’époque » (C-L, p. 17). Le strict respect de l’ordre chronologique de parution permet de saisir les inflexions des discours au « quotidien » (pour reprendre le jeu de mots contenu dans le titre). Le choix effectué se révèle judicieux, bien qu’on puisse toujours regretter des absences, et notamment l’éventail restreint des jugements sur la langue de visiteurs ou de résidents étrangers (qui se limitent à trois Français : l’académicien Étienne Lamy, l’acteur et metteur en scène Jean-Louis Barrault et le linguiste Jean-Paul Vinay, professeur à l’Université de Montréal). La méthodologie qui a guidé le dépouillement des sources et l’édition des textes est présentée scrupuleusement (C-L, p. 38-41), ce qui valorise le travail collectif fourni par les animateurs du projet et leurs auxiliaires de recherche. La période traitée dans le premier volume révèle « le parcours sinueux mais […] assez cohérent qu’emprunte la réflexion sur la langue dans la société québécoise » (C-L, p. 20). On peut en dégager les étapes et les enjeux, avec les scansions suivantes : d’abord, la place prépondérante des publicistes au 19e siècle ; ensuite, l’essor de la pensée nationaliste, à partir de la fin de ce même siècle et, de façon concomitante, l’entrée en jeu (et …

Appendices