Dans leur ouvrage, Daniel Mercure et Mircea Vultur adoptent une approche originale en prenant pour objet l’ethos du travail, qu’ils se proposent de « repérer, décrire et analyser… [dans ses] formes contemporaines… au Québec », sur la base d’une enquête, auprès de 1000 travailleurs représentatifs de la population active. Grâce aux résultats de cette enquête, ils construisent une typologie des ethos du travail au Québec. Les six types idéaux alors dégagés ont été ensuite enrichis par une cinquantaine d’entrevues semi-dirigées. Ils sont décrits et distingués avec une grande clarté. Porteurs d’une signification extrêmement riche, ils seront assurément retenus par la suite comme une contribution incontournable à la compréhension des rapports et des identités au travail. Certains types idéaux s’inscrivent bien dans le modèle productif fordiste, tandis que d’autres, ayant récemment émergé et représentant tout près de la moitié de l’échantillon, appartiennent clairement au nouveau modèle productif, porteur du nouvel esprit du capitalisme qui a dominé dans les trente dernières années. Enfin, un troisième groupe d’ethos au travail se situe plutôt en marge des modèles fordistes et postfordistes. Pour caractériser l’ethos du travail, les auteurs font appel à trois grandes dimensions : l’importance et la place du travail dans les sphères de vie, la signification du travail ainsi que le rapport aux normes managériales. Au terme de leurs analyses, ils dégagent quelques conclusions majeures. À l’encontre de la thèse de la fin du travail, mise de l’avant au milieu des années 1990 (Méda, 1995 ; Rifkin, 1996), ils rappellent que la centralité du travail est encore de nos jours une dimension primordiale, même si à bien des égards on est entré de plain-pied dans la société postindustrielle. Ils soulignent que l’équilibre entre les différentes sphères de la vie, et particulièrement entre le travail et la famille, qui constitue d’ailleurs la plus importante sphère de vie, représente l’un des enjeux cruciaux de notre époque. Parmi les diverses significations attribuées au travail, les multiples facettes de l’expérience vécue au travail importent davantage que sa valeur instrumentale. Enfin, les auteurs concluent que les travailleurs québécois sont en général satisfaits, voire plutôt très satisfaits, avec un score moyen de 7,54 sur 10 (annexe 2.6, p. 280-291), et qu’ils adhèrent à près de 90% aux objectifs de leur employeur et à plus de 70 % aux objectifs de flexibilité de leur entreprise (graphique 9, p. 77). Au fond, c’est cette dernière conclusion qui étonne le plus et les auteurs ne manquent pas d’interpeller le monde syndical à ce sujet (p. 286) (d’ailleurs, c’est le seul passage où il est fait référence au syndicalisme dans cet ouvrage sur l’ethos du travail au Québec où 40 % de la main-d’oeuvre est syndiquée !). Il ressort de l’ouvrage l’impression générale d’une entreprise pacifiée. L’ethos du travail, soit les valeurs, les attitudes, les croyances qui façonnent les comportements d’un individu « selon ce qu’il juge bon et désirable pour lui » (p. 4-5), correspond également, pour près de la moitié des travailleurs, à ce qui est bon et désirable pour l’entreprise, comme en témoignent leur degré d’adhésion aux normes managériales, leurs aspirations et leur degré de satisfaction. D’une manière plus précise encore, les Professionnalistes et les Égotélistes, les deux figures du travail les plus en phase avec le nouveau modèle capitaliste, recherchent la réalisation au travail et c’est précisément ce que leur offre l’entreprise dans le nouveau modèle productif. Dans ce que l’on pourrait considérer comme une autre contribution aux thèses sur la disparition de la résistance au travail (Bélanger et Thuderoz, 2010), il y aurait donc une véritable symétrie de valeurs entre l’individu et l’entreprise, …
Appendices
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