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Le concept de transculture est au coeur de l’ouvrage sous la direction de Caccia, et les contributeurs en parlent comme d’un passage, d’une traversée, d’un devenir. C’est l’anthropologue cubain Fernando Ortiz qui, en 1940, fut le premier à nommer ce concept. Pour Ortiz, dans le contact de deux cultures, une réciprocité d’influences, même si elles sont de forces inégales, prend place. Dans l’ouvrage recensé, Caccia (p. 7) définit la transculture comme le passage de la sphère du privé à celle du public, de l’espace subjectif de soi à l’espace objectif de l’autre, processus de la création de l’identité et par conséquent de la culture.
Le concept de transculture a été introduit au Québec dans les années 1980 par les artisans et fondateurs de la revue ViceVersa (textes de Moser, Ouellet, Harel). Le premier numéro de cette revue, paru en 1983, se voulait une expérience artistique, culturelle et multilingue, au sein de la société québécoise qui présentait une potentialité transculturelle (textes de Van Schendel, Roy, Anselmi, Berrouët-Oriol). Jusqu’à sa dernière parution en 1997, la revue ViceVersa traita de la diversité par la parole poétique et politique, par l’écriture migrante et par l’illustration. L’ouvrage est constitué de textes mis en forme à la suite d’un colloque qui a eu lieu en 2007 à l’Université Concordia sur le thème « Diversité culturelle et transculture ou ViceVersa : qu’est-ce que la transculture aujourd’hui ? »
Aujourd’hui, la transculture est un pays qui n’existe pas, qu’on ne pourra jamais dénicher sur une mappemonde, simplement parce que nous refusons de prendre la terre pour un nuage, écrit D’Alfonso. Car, poursuit-il, la transculture c’est la culture de la migration, c’est le fait de passer outre (trans) et de cultiver, de rêver (culture). Caccia souligne que le migrant d’aujourd’hui, n’est plus l’exilé d’hier ; au 21e siècle, il part libre, et ce, pour améliorer ses conditions de vie. C’est dans la traversée de sa condition qu’il accomplit son destin transculturel.
Pour en arriver à ce destin transculturel, les auteurs nous apprennent qu’il faut sortir de son centre, qu’il faut se dérêver soi-même, se dévêtir de sa substance, se déprogrammer culturellement, perdre son lieu de naissance, son confort linguistique, familial et viscéralement identitaire et sortir de sa patrie pour définir sa patrie (Morisset, Tassinari, Morin). Car, écrivent-ils, ce n’est pas dans les eaux bleues trop bleues que l’on peut trouver le secret du bleu. Le péril est toujours celui de l’enracinement, du repli et du rabattement sur le donné.
Il est ainsi question dans l’ouvrage de l’expérience vice-versienne, mais le lecteur y trouvera bien plus que des témoignages. C’est le concept de transculture qui traverse tous les textes, et ce, sous diverses lunettes. Tantôt c’est le linguiste qui discute du concept, alors qu’à un autre moment c’est le poète, le géographe, l’historien ou l’artiste. Par conséquent, cet ouvrage s’adresse aux chercheurs de disciplines variées qui s’intéressent aux formes de la transculture. Son apport principal est de définir la transculture en tant que concept, en tant qu’expérience de publication et en tant que discours sur la diversité dans la société québécoise des années 1980 à aujourd’hui.