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Le volume dirigé par Monique C. Cormier et Jean-Claude Boulanger reprend les conférences présentées lors de la Troisième journée québécoise des dictionnaires, organisée en 2008. La thématique de cette manifestation tenue à Montréal incitait les spécialistes québécois et continentaux à des examens rétrospectifs et introspectifs.
Le parcours proposé au lecteur s’ouvre par un panorama de Claude Poirier, qui retrace l’histoire des relations des lexicographes québécois avec la France. Distinguant quatre périodes historiques, il fait ressortir des figures intéressantes – Bibaud, Viger au 19e – ou des facteurs d’influence : l’ultramontanisme. Les éléments qui contribuent à la construction d’une conscience identitaire lexicographique sont nombreux et méritent exploration. Une histoire culturelle de la lexicographie se dessine en filigrane de cette contribution.
Dans une perspective analogue, Louis Mercier s’attache à l’âge d’or des glossaires : le demi-siècle 1880-1930. L’acteur majeur est la Société du parler français d’Adjutor Rivard. La Société sut faire converger les travaux d’amateurs, obtenant un effet d’accumulation qui permettra la parution du Glossairedu parler français au Canada.
Dans une continuité bienvenue, la contribution de Gabrielle Saint-Yves s’attache aux mots décrivant la femme, ses activités et son univers dans les glossaires. L’auteure met en évidence la pérennité que la lexicographie accorde à des faits sociaux qui évoluent plus vite que la langue et elle valorise l’aspect patrimonial de « mots témoins » d’une histoire déjà lointaine.
Marcel Lajeunesse nous fait découvrir quels dictionnaires se trouvaient dans les bibliothèques de la Nouvelle-France. On apprend que le poids du clergé n’empêchait pas l’entrée de recueils de libres penseurs – Moréri, Bayle sont là – et que l’Académie était peu représentée. Cette riche étude donne envie de mieux connaître la diffusion sociale des recueils lexicographiques.
Jean Pruvost propose de chasser à travers les dictionnaires français les traces de Nouvelle-France, Canada, Québec. La collecte, riche surtout pour la toponymie, offre maints clichés : si, pour l’Encyclopédie, les sauvages du lieu sont des esprits déliés, ils sont « soupçonneux, traîtres, vindicatifs ». Une analyse en treize thèmes permet d’offrir une grille de lecture des apparitions de l’univers canadien dans la lexicographie : faune, flore, traditions, industries, etc.
Elmar Schafroth étudie les aspects de la normativité dans les dictionnaires. Les positions des lexicographes et les projets lexicographiques ne convergent pas. Et les usagers n’attendent pas les mêmes services, par exemple, du pragmatique Multidictionnaire, ou du novateur Dictionnaire québécois d’aujourd’hui. Le lien entre norme et corps social est d’une dialectique subtile.
La perplexité d’Henri Béjoint résulte de sa lecture du curieux Dictionnaire québécois-français. Son élaboration ne correspond à aucun programme lexicographique connu et souffre d’une certaine hétérogénéité. Le fait qu’il fut écrit par un Français exilé peut expliquer le succès de cet étrange bilingue qui pose le québécois courant comme une variété à traduire en français central. Un parti pris qui ouvre une discussion dont les bases sont jetées avec le texte suivant consacré au Dictionnaire québécois d’aujourd’hui qui connut un destin tourmenté. Esther Poisson retrace cette histoire qui mit en lumière les contradictions des sentiments linguistiques des Québécois. Le sort du DQA, jugé dangereux ou précurseur, renforça la prudence des successeurs.
La norme que propose, depuis vingt ans, le Multidictionnaire et étudiée par Monique Cormier est clairement orientée vers le bon usage. Orientée vers la sécurité linguistique de l’usager, l’oeuvre de Marie-Éva de Villers continue à marquer comme tels les québécismes de sa nomenclature.
Les dictionnaires scolaires québécois sont passés au crible par Pascale Lefrançois dont l’analyse débouche sur un satisfecit global et une série de recommandations, notamment concernant la phraséologie. Dans un registre analogue, Monica Barsi et Cristina Brancaglion présentent l’intérêt pour l’enseignement de la langue écrite d’une didactisation de la base de données lexicographique francophone en vue d’une meilleure connaissance des réalités panfrancophones ainsi que d’une mise à distance des stéréotypes.
Jacques Maurais apporte un éclairage sociolinguistique sur le marquage lexicographique, pratique qui n’a guère évolué depuis Furetière. La question des québécismes y est abordée en référence au sentiment des usagers. L’étude montre que les Québécois possèdent des répertoires dans lesquels termes non marqués et québécismes sont intriqués et qu’ils peuvent choisir le terme français de référence ou son équivalent québécois. Encore faut-il qu’il y ait équivalence...
Les marques occupent également Hélène Cajolet-Laganière et Pierre Martel, de l’équipe FRANQUS. Le chantier qu’ils dirigent, le dictionnaire du français standard en usage au Québec, vise une description originale, basée sur un corpus textuel et adaptée aux attentes des lecteurs. La pratique lexicographique synthétise les expertises québécoises du domaine.
Des éléments de bibliographie, dus à Myriam Côté et Geneviève Joncas, complètent ce volume stimulant.