Comptes rendus

Lionel Meney,Main basse sur la langue, Idéologie et interventionnisme linguistique au Québec, Montréal, Liber, 2010, 508 p.[Record]

  • Loïc Depecker

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Le titre résonne comme un thème de roman policier. Et ne cesse, tout au long, de poser des questions. Car peut-on faire main basse sur une langue, s’en emparer ? Le constat initial est celui d’un Canada anglophone séparé d’un Québec francophone. L’avenir du français au Québec se jouant, pour l’auteur, sur l’île de Montréal, l’anglais étant majoritaire dans l’ouest de l’île comme « langue d’usage au travail ». Et à cause de leur choix en faveur du français ou de l’anglais, « les allophones sont au centre de la bataille des langues ». Pour bien saisir les enjeux de la question, il faut avoir une vision claire des rapports de force entre les langues, au Québec principalement (les autres provinces étant peu évoquées). Il est clair qu’il n’y a pas un seul usage du français au Québec. L’auteur dégage trois grands types de « français » : le français vernaculaire (qu’il se propose d’appeler « franbécois »), le français standard du Québec, et le français standard international. L’idée est qu’il faut, pour ménager les chances du français au Québec, s’en faire une conception non pas tournée vers l’identité québécoise, que l’auteur met d’ailleurs çà et là à mal, mais vers le français standard international. C’est dans ce sens qu’il faudrait selon lui envisager le français au Québec, aussi bien du point de vue du lexique que de la morpho-syntaxe et de la phonétique. Surprenant, ce dernier point : car comment persuader une communauté, qui a ses manières de dire, d’adopter une prononciation différente ? Du point de vue de l’auteur, la chose n’est pas inaccessible. Il cite notamment le cas de Céline Dion, issue d’un milieu modeste de la banlieue de Montréal, capable de passer d’une prononciation québécoise populaire, voire très populaire, à une prononciation québécoise légèrement marquée, ou pas du tout marquée. Mais cette aptitude dépend du niveau de conscience linguistique et d’instruction du locuteur. La question est cependant posée : sur combien de codes parle-t-on français au Québec ? Et dans quelle mesure en est-on conscient ? Pour notre auteur, et c’est là le coeur du livre, il faut, pour préserver le français au Québec, opter résolument pour « le » français standard international. Car les Québécois vivent pour lui en situation, au moins, de diglossie, entre un français vernaculaire (le « français d’ici ») et un français standard international que la plupart comprennent, mais que peu parlent facilement. Sur ce sujet, l’ouvrage est bien documenté et sa dimension sociologique incontestable. L’une des questions récurrentes posées dans les différentes enquêtes évoquées revient à celle-ci : « Avez-vous l’impression de parler français ou de parler québécois ? » Et de demander aux sondés de nommer la langue qu’ils parlent : français, français québécois, québécois… ? Les réponses données et les pourcentages exprimés sont passionnants à lire. On ne peut que constater cette évidence : l’attachement des Québécois à la langue qu’ils parlent. Qu’on me permette donc ici cette digression : nous avons chacun nos manières de dire, avec notre prononciation, nos mots, nos expressions, qui renvoient à ce qui nous est cher, à l’intime, à la famille et à l’enfance. Le livre montre à ce propos que peu de Québécois lâcheraient mitaine pour gant. Mitaine est un mot intime, attaché à une réalité importante en Amérique du Nord : l’hiver et le « froid sibérien ». C’est là ce que j’appelle les ethnotermes, termes liés à l’intime et utilisés par une communauté particulière. Le livre ne cesse de nous interroger sur ce point. Car comment ne pas être attaché à son vernaculaire, à sa langue et …