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Le titre résonne comme un thème de roman policier. Et ne cesse, tout au long, de poser des questions. Car peut-on faire main basse sur une langue, s’en emparer ? Le constat initial est celui d’un Canada anglophone séparé d’un Québec francophone. L’avenir du français au Québec se jouant, pour l’auteur, sur l’île de Montréal, l’anglais étant majoritaire dans l’ouest de l’île comme « langue d’usage au travail ». Et à cause de leur choix en faveur du français ou de l’anglais, « les allophones sont au centre de la bataille des langues ».
Pour bien saisir les enjeux de la question, il faut avoir une vision claire des rapports de force entre les langues, au Québec principalement (les autres provinces étant peu évoquées). Il est clair qu’il n’y a pas un seul usage du français au Québec. L’auteur dégage trois grands types de « français » : le français vernaculaire (qu’il se propose d’appeler « franbécois »), le français standard du Québec, et le français standard international.
L’idée est qu’il faut, pour ménager les chances du français au Québec, s’en faire une conception non pas tournée vers l’identité québécoise, que l’auteur met d’ailleurs çà et là à mal, mais vers le français standard international. C’est dans ce sens qu’il faudrait selon lui envisager le français au Québec, aussi bien du point de vue du lexique que de la morpho-syntaxe et de la phonétique. Surprenant, ce dernier point : car comment persuader une communauté, qui a ses manières de dire, d’adopter une prononciation différente ? Du point de vue de l’auteur, la chose n’est pas inaccessible. Il cite notamment le cas de Céline Dion, issue d’un milieu modeste de la banlieue de Montréal, capable de passer d’une prononciation québécoise populaire, voire très populaire, à une prononciation québécoise légèrement marquée, ou pas du tout marquée. Mais cette aptitude dépend du niveau de conscience linguistique et d’instruction du locuteur. La question est cependant posée : sur combien de codes parle-t-on français au Québec ? Et dans quelle mesure en est-on conscient ?
Pour notre auteur, et c’est là le coeur du livre, il faut, pour préserver le français au Québec, opter résolument pour « le » français standard international. Car les Québécois vivent pour lui en situation, au moins, de diglossie, entre un français vernaculaire (le « français d’ici ») et un français standard international que la plupart comprennent, mais que peu parlent facilement. Sur ce sujet, l’ouvrage est bien documenté et sa dimension sociologique incontestable. L’une des questions récurrentes posées dans les différentes enquêtes évoquées revient à celle-ci : « Avez-vous l’impression de parler français ou de parler québécois ? » Et de demander aux sondés de nommer la langue qu’ils parlent : français, français québécois, québécois… ? Les réponses données et les pourcentages exprimés sont passionnants à lire. On ne peut que constater cette évidence : l’attachement des Québécois à la langue qu’ils parlent.
Qu’on me permette donc ici cette digression : nous avons chacun nos manières de dire, avec notre prononciation, nos mots, nos expressions, qui renvoient à ce qui nous est cher, à l’intime, à la famille et à l’enfance. Le livre montre à ce propos que peu de Québécois lâcheraient mitaine pour gant. Mitaine est un mot intime, attaché à une réalité importante en Amérique du Nord : l’hiver et le « froid sibérien ». C’est là ce que j’appelle les ethnotermes, termes liés à l’intime et utilisés par une communauté particulière. Le livre ne cesse de nous interroger sur ce point. Car comment ne pas être attaché à son vernaculaire, à sa langue et aux mots qui vont avec ?
C’est là un des points de tension du livre. L’auteur prêche en effet – et parfois violemment –, pour l’adoption au Québec du français standard international. Ce faisant, il engage à cesser de faire du français du Québec une langue à part, pour l’orienter vers un français international, partagé par la communauté des francophones. Mais comment réduire l’écart entre français standard international et « français québécois » ? Pour l’auteur, le grand écart entre ces deux variétés de français n’est pas si considérable. Notamment parce que le français du Québec puise à un fonds lexical ancien, que l’on retrouve dans les parlers des régions de France (achaler : importuner, barrer : fermer, garrocher : lancer, etc.). Et si certains mots sont spécifiques au Québec, il faut souvent y voir une adaptation du français aux réalités locales (pacane : noix de pécan, ouaouaron : grenouille taureau, etc.). Mais là où les différences s’avèrent importantes, c'est dans les nombreux emprunts à l’anglais et dans les néologismes créés au Québec. Sur ce point, l’auteur préconise : 1) de cesser de favoriser la création de termes endogènes ; 2) d’opter pour les termes du français standard international ; 3) de procéder à une « refrancisation des formes anglicisées du français québécois ». C’est-à-dire revenir sur la politique linguistique et terminologique conduite au Québec depuis quarante ans. Rien de moins.
La bataille des langues vient donc se nouer autour de la bataille de la norme. Pour notre auteur, il faut opter pour le français standard international, sous peine de voir le français disparaître au Québec. C’est ce qui l’engage à batailler contre ce qu’il appelle les « endogénistes », promoteurs d’une norme spécifique et affirmée du français parlé au Québec, qui, pour lui, représente une impasse. L’un des arguments développés ici étant le choix résolu d’un français « utilitaire », permettant de communiquer facilement avec le reste de la francophonie, aux dépens d’un français « identitaire », parlé ordinairement au Québec et travaillé par les « linguistes endogénistes » au plus haut niveau de la politique linguistique. L’utilitaire contre l’identitaire. Le conflit n’est évidemment pas que linguistique : c’est celui entre les partisans d’une norme utilitaire, qui prônent le recours au français standard international, manié au Québec aujourd’hui essentiellement par une élite, et les partisans d’une norme identitaire, reflétant les manières de dire ordinaires, propres aux Québécois. Vision un peu manichéenne et réductrice, si on la résume à cela.
Il n’en demeure pas moins que la vision d’une langue, vision linguistique, sociologique, politique, culturelle, détermine tout un ensemble d’analyses et de choix. C’est dire que le choix d’une norme pour le français du Québec, question récurrente depuis des années, dépend de cette vision. Sur quelle vision appuyer cette norme ? Prise entre plusieurs systèmes de langue et plusieurs « idéologies », cette norme reste aujourd’hui bel et bien à construire.
Cet ouvrage est donc un livre de sociolinguistique, malgré quelques faiblesses de ce côté. On voit par exemple mal étayée l’affirmation que « si le locuteur est un homme, il y a plus de chances qu’il utilise les variantes ‘québécoises’ qu’une femme ». Dans un autre ordre d’idées, il nous semble difficile de soutenir que des langues différentes donnent accès à de mêmes « représentations ». C’est là confondre concept et représentation. D’autres thématiques sont cependant bien mises en valeur, comme celle de la diglossie entre français québécois et français standard international : argument séduisant, grâce aux paradoxes et contradictions qu’il fait surgir.
C’est aussi un livre sociologique et politique, ardent à promouvoir une norme du français au Québec, celle du français standard international. Le polémiste pointe çà et là et on notera quelques flèches acérées. Ainsi du « prêchi-prêcha diversitaire » de ceux qui prônent un français différent et fier de l’être. On lira avec intérêt nombre de développements, souvent décapants, même si le trait est parfois brutal et exagéré. En tout état de cause, le temps presse et il y a le feu au lac : « À la lumière de ces faits, les discussions des aménagistes endogénistes sur l’existence d’un ‘français québécois standard’ rappellent celles des théologiens byzantins sur le sexe des anges, alors que les troupes ottomanes frappent aux portes de Constantinople ».
Il faudrait cependant admettre que du chemin a été fait pour promouvoir le français au Québec. Ce qui fait regretter dans ce livre les critiques souvent exagérées faites à l’immense travail terminologique accompli par le Québec, souvent indépendamment de la France, qui n’en voulait pas et qui peine aujourd’hui à rattraper le retard.