In memoriam

Jean-Pierre Wallot (1935-2010)[Record]

  • Gilles Paquet

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À la fin d’une vie, la tradition veut qu’on tire la ligne et qu’on fasse la somme. Si le parcours a été suffisamment linéaire et étroit, la somme peut suffire pour donner un résumé qui ne sera pas trop réducteur de la trace qu’a laissée une personne sur son passage. Mais dans le cas de Jean-Pierre Wallot, le procédé est condamné à être inadéquat. Quelles que soient les astuces de l’additionneur, il faudra toujours compter avec le reste – un reste dont on ne peut faire l’économie, parce que la vie de Jean-Pierre Wallot a été trop riche et extensive pour faire seulement l’objet d’une addition de ses réalisations. Une simple somme serait condamnée à n’être que de la fausse représentation. Jean-Pierre Wallot a été l’homme des vingt-quatre heures dont parlait Gaston Bachelard. Si on veut le saisir, il faut toujours l’imaginer comme habitant plusieurs mondes au cours de sa journée : le matin en classe expliquant avec force détails la stratégie foncière de l’habitant à l’île d’Orléans vers 1800 ; le midi finalisant au lunch un arrangement administratif déterminant ; en après-midi, présidant l’une ou l’autre de ces innombrables rencontres qu’il acceptait toujours d’animer ; en début de soirée communiquant télépathiquement avec son épouse sur le parquet d’une salle de danse, quand il ne syncope pas avec son trio de jazz ; inquiet plus tard le soir de la maladie de sa fille et priant pour sa guérison ; puis, à sa table de travail, en début de nuit – car c’est souvent le seul moment qu’il avait pour écrire ; et enfin, aux petites heures, dans son sommeil, rêvant de kangourous, de bûches de Noël, et peut-être même de souveraineté. Qui pourrait dire laquelle de ces vignettes peut prétendre nous donner une idée de la vraie nature de Jean-Pierre Wallot ? Même au simple registre du travail, Jean-Pierre Wallot a eu une variété de carrières et a fait sa marque dans un grand nombre de secteurs d’activités disparates. D’abord journaliste au Progrès de Valleyfield où ses éditoriaux décapants ont dérangé bien des gens, Jean-Pierre Wallot a été ensuite un musicien de jazz (et l’est resté tout au long de sa vie – en fait il a failli faire une carrière de percussionniste – avant de devenir un historien – formé à l’École de Montréal par Maurice Séguin, Guy Frégault et Michel Brunet. Pendant un moment, ce travail d’historien à plein temps l’a accaparé. Il a enseigné aux universités de Montréal, Toronto, Concordia et Ottawa, et il a été directeur d’études associé à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris. Ses travaux ont révolutionné l’histoire sociale, économique et politique du Québec au XIXe siècle, et remis en question les interprétations canoniques à la Creighton-Lower-Ouellet. Il a proposé une interprétation de rechange – une vision entrepreneuriale de cette période de l’histoire du Québec pour remplacer les versions déchéantistes et victimisantes en vogue. Ses travaux ont eu un impact déterminant sur toute une génération d’historiens et lui ont valu de nombreux honneurs (Ordre du Canada, Société royale du Canada, Académie des lettres du Québec, etc.), ainsi que des doctorats honorifiques au Canada et à l’étranger. En parallèle à ses travaux d’historien, Jean-Pierre Wallot a accepté un grand nombre de postes administratifs. Il va ainsi être amené, d’une promotion à l’autre, à devenir vice-recteur de l’Université de Montréal. Il sera aussi président d’un grand nombre de sociétés scientifiques canadiennes et québécoises. Dans tous ces chantiers il aura été un constructeur méticuleux, sa marque de commerce. Et puis, en 1985, Jean-Pierre Wallot prend un grand virage : il devient le …

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