Pamphlet contre l’utilisation ignorante de l’histoire, leçon d’historiographie et leçon d’histoire militaire, le petit livre d’Yves Tremblay ressasse le débat autour de la reconstitution proposée de la bataille des Plaines d’Abraham à l’été 2009. Avec une plume vive et acerbe, l’historien du ministère de la Défense du Canada s’en prend en premier lieu à tous ceux qui, par ignorance ou mauvaise foi, ont répété ce que Tremblay appelle le « mensonge » sur les raisons de la défaite française des Plaines d’Abraham en 1759. Ce mensonge fait porter le poids de la défaite sur le conflit entre Montcalm, le « maudit Français », et Vaudreuil, le bon Canadien. Tremblay s’en prend aussi à ceux qui, s’appuyant sur ce mensonge, se sont scandalisés que l’on veuille « commémorer » une défaite par la reconstitution de la célèbre bataille. Tremblay attribue péremptoirement aux reconstitutions historiques une vertu pédagogique : elles feraient ressortir la complexité des événements parce que bâties sur une solide recherche empirique dans les sources historiques. Il termine son livre en espérant pouvoir assister à la reconstitution de la bataille en 2059, même s’il sera alors d’un âge presque centenaire. Tremblay définit tout d’abord l’égo-mémoire comme la mémoire qu’un groupe se façonne de lui-même « en deçà de toute tentative de comparaison à un groupe plus grand ou de mise en contexte dans un univers moins étroit » (p. 11-12). L’égo-mémoire, poursuit-il, « aime le compagnonnage de l’ignorance, que d’ailleurs elle entretient » (p. 12). Le ton est donné. La première partie du livre, intitulée « Le mensonge », passe en revue les interventions publiques, consignées pour l’essentiel dans la presse écrite de janvier-février 2009 au sujet de la reconstitution de la bataille des Plaines. Tremblay accuse notamment Le Devoir de manifester « une forme aiguë de paresse intellectuelle aveuglante » (p. 50) dans ce dossier. En seconde partie, l’auteur retrace l’origine de l’interprétation « mensongère » de la bataille des Plaines d’Abraham depuis François-Xavier Garneau jusqu’à Guy Frégault, dont La Guerre de la Conquête (1955) constitue, dans la production historiographique québécoise, l’ouvrage le plus fouillé sur le sujet. Tremblay souligne l’origine clérico-nationaliste du « mensonge », qui aurait été repris par Frégault (p. 126). La troisième partie du livre entend rétablir la « vérité » sur l’histoire militaire des Plaines d’Abraham. Se fondant sur l’historiographie récente, à la fois britannique et américaine, ainsi que sur les travaux de la regrettée Louise Dechêne, Tremblay montre comment l’issue de la bataille, et de la guerre, était pratiquement fixée d’avance, peu importe la rivalité Montcalm-Vaudreuil. Tremblay rappelle le contexte géographique, stratégique et logistique de la fin de la Guerre de Sept Ans, afin de faire ressortir la pertinence d’une histoire militaire bien faite. Même dans un ouvrage polémique, les termes « mensonge » et « vérité » détonnent chez un historien qui prend la peine d’inclure dans son livre un court chapitre intitulé « L’histoire est une science des interprétations ». Ce n’est pas tant de vérité ou de mensonge qu’il s’agit dans ce livre, mais du conflit de perspectives adoptées par les historiens de la Conquête et par les intervenants dans le débat sur la commémoration de la bataille des Plaines. Certaines perspectives sont certes mieux assises sur les données historiques que d’autres, mais celle de Tremblay n’est pas nécessairement d’une solidité irréfutable. Ainsi, la bataille des Plaines ne constitue pas un exemple très convaincant de l’importance de l’histoire militaire. Si cette bataille n’avait pas eu lieu, si les Britanniques s’étaient contentés d’assiéger Québec au lieu de faire monter leurs troupes sur les Plaines, la colonie aurait probablement quand même capitulé …
Yves Tremblay, Plaines d’Abraham. Essai sur l’égo-mémoire desQuébécois, Montréal, Athéna Éditions, 2009, 248 p.[Record]
…more information
José Igartua
Département d’histoire,
Université du Québec à Montréal.
igartua.jose@uqam.ca