Article body
D’entrée de jeu, je tiens à statuer sur ce qui pourrait constituer une apparence de conflit d’intérêt. J’ai discuté de ce projet de rédaction de l’histoire des relations du travail dans l’industrie de la construction avec son auteur et j’ai formulé des suggestions et fait des commentaires lors de la recherche qu’il a menée et j’ai toujours ouvertement soutenu ce projet, unique en soi, étant moi-même proche du monde de la construction depuis 43 ans. L’auteur et son collaborateur ont eu la délicatesse de souligner le très modeste rôle que j’ai tenu dans leur projet à la page XVII de leur ouvrage.
La pénurie de textes sur l’industrie québécoise de la construction fait de ce livre une référence essentielle dans le contexte où cette industrie est, sinon inconnue, du moins mal connue et méconnue. Que de préjugés envers les quelque 140 000 travailleurs, 25 000 employeurs et les dizaines de milliers d’intervenants directs et indirects de cette industrie ! Certes les Gérard Hébert, Gérard Dion, Carol Jobin, Fernand Morin, Claudine Leclerc et le soussigné ont écrit sur le sujet, mais cet ouvrage présente une fenêtre unique et complète sur l’histoire très particulière des relations du travail dans le secteur de la construction au Québec. Cette publication est la seule source historique complète sur les relations du travail dans l’industrie de la construction québécoise, source d’informations crédibles et vérifiées non seulement pour les gens même de la construction et les professionnels oeuvrant dans ce secteur, mais aussi pour les observateurs, les médias, les analystes, les étudiants et, surtout, le grand public.
Le travail menant au présent livre a véritablement débuté il y a vingt ans, avec la publication par la Direction recherche et organisation de la Commission de la construction du Québec (CCQ) du premier historique de ce secteur d’activité au Québec. Les économistes Delagrave et Pilon ont repris le projet en le développant considérablement. Ce livre comporte cinq chapitres relativement équilibrés d’une quarantaine de pages chacun, une conclusion et un bilan. Cet ouvrage est plus qu’une chronologie. Il fait aussi le pont entre les événements et plus de 40 encadrés thématiques présentent des sujets tels le salaire des ouvriers en 1913 à Québec, les caractéristiques de l’industrie de la construction, les vacances de la construction, le champ d’application de la loi, la machinerie de production, etc. Ces encadrés illustrent de façon pratique le déroulement de cette histoire.
Le premier chapitre remonte aux sources, c’est-à-dire au XIXe siècle, en insistant sur le rôle des métiers dans la naissance du syndicalisme dans ce secteur et en relatant la naissance des associations patronales. Vient ensuite la première période d’encadrement législatif de la construction de 1934, où la Loi des décrets de convention collective établissait un fonctionnement régional de l’industrie, jusqu’en 1968, moment de l’adoption par le législateur québécois du fameux « bill » 290 du 18 décembre 1968, instituant la négociation provinciale et créant un comité paritaire provincial, la Commission de l’industrie de la construction (CIC) pour gérer ce décret provincial. Cette loi existe toujours, une quarantaine de modifications directes et indirectes y ayant été cependant apportées depuis 1968. Cette loi devenait alors le Code du travail de la construction au Québec.
Le chapitre 2 s’attarde à la période de 1969 à 1975, période des premiers pas difficiles du « bill » 290 (chap. 45 des lois de 1968) : grandes rivalités intersyndicales, intervention croissante du gouvernement, crise d’octobre, saccage de la baie James pour enfin aboutir à la Commission d’enquête sur l’exercice de la liberté syndicale dans l’industrie de la construction (Commission Cliche). Le dépôt du rapport de cette commission a provoqué une cascade de lois réformant le système : création de l’Office de la construction du Québec (OCQ) (trois à cinq administrateurs avec le temps) à la place de la CIC paritaire, formation de l’Association des entrepreneurs en construction du Québec (AECQ), mises en tutelle de syndicats, etc. Encore aujourd’hui, on se souvient de façon vive de cette période.
Le chapitre 3 (1975-1985) couvre dix années de quasi-tutelle de la construction québécoise par le gouvernement dans la foulée de la Commission Cliche. La loi sera alors peu modifiée mais le gouvernement est omniprésent. C’est durant cette période qu’un règlement sur le placement, aspect encore très litigieux, est adopté (1977) pour tenter de pallier l’insécurité et l’instabilité chronique d’emploi qui prévalent alors, dans un contexte de sérieuses difficultés économiques générales au Québec.
Le chapitre 4 vise la période de 1986 à 1992 où un vent de réforme se lève en même temps qu’un mouvement de déréglementation s’installe. L’industrie est mûre pour une reprise en main. On assiste alors à la naissance de l’actuelle Commission de la construction du Québec (CCQ), organisme tripartite, à l’essor de la formation professionnelle et à d’âpres débats sur la sécurité du revenu qui aboutiront à la création d’un fonds de formation pour les travailleurs de la construction.
Le chapitre 5 porte sur les années 1993 à 2008. Il fallait alors réformer un régime de négociation déficient, trop centralisé, donc trop politique et ainsi subordonné à l’intervention gouvernementale. Le gouvernement Johnson « sectorialise » la négociation et la représentativité syndicale en plus d’exclure le secteur résidentiel de la loi en 1993 (projet de loi 142). Le gouvernement Parizeau, fidèle à sa promesse électorale de « scrapper le projet de loi 142 » adopte, en 1995, le projet de loi 46, qui conserve la « sectorialisation » des négociations, « reprovincialise » la représentation syndicale et réintègre une partie du secteur résidentiel dans le giron de la loi. Ce dernier régime prévaut encore aujourd’hui.
Cet ouvrage propose un bilan général et montre clairement que la construction québécoise possède un modèle unique de relations du travail en Amérique du Nord et au monde. En outre, ce régime a produit une paix relative, surtout depuis 1986, moment de la dernière grève générale dans l’industrie de la construction au Québec. Cette Histoire des relations du travail dans la construction au Québec est un outil essentiel à de meilleures connaissance et compréhension de ce monde très particulier qu’est le secteur d’activité de la construction. Delagrave et Pilon ont fait oeuvre plus qu’utile. L’histoire couverte par l’ouvrage s’arrête en 2008. Le temps continue de couler et des mises à jour sont déjà nécessaires pour garder actuelle la mémoire de cette industrie. À suivre, alors.